Le coaching est rencontre…voilà un truisme dès lors qu’on rabat les mots sur leur banalité quotidienne.
Et pourtant il n’y a pas plus subversif que la rencontre. Car elle est confrontation à l’altérité et impose aux deux protagonistes de s’ouvrir au radicalement autre.
Le monde de chacun en est ébranlé : la rencontre fait événement.
Là aussi ne nous laissons pas embarquer par le nivellement du spectacle, qui est le gardien du sommeil comme le rappelle Debord.
L’événement est ce qui fait effraction, déchire le connu pour ouvrir un monde nouveau.
Cela ne va pas toujours tout seul et peut se payer du prix de l’angoisse (cf. Kierkegaard et Heidegger). Car s’ouvrir à la vie c’est s’ouvrir au vertige, vertige de la liberté, vertige du sans fond, vertige du prix de l’existence, celui d’avoir à s’inventer à chaque seconde.
L’existence est toujours un risque, jamais un slogan ou un mantra.
La rencontre fait événement, Cet évènement que le masque des outillages, des processus, de la novlangue « coach » s’emploie à désamorcer dans l’eau tiède de l’hygiénisme bien pensant, du positif inconditionnel, est pourtant l’unique chance d’accéder à ce Kairos où enfin l’homme ex-siste (étymologiquement, s’arrache à lui) dans l’intensité de l’ouverture qui le bouscule.
Que cette rencontre n’arrive pas comme ça (encore que justement elle arrive « comme ça », tout ce qui est vrai est, décidément, paradoxal !), qu’il faille un travail préparatoire de déconstruction, qu’il faille composer avec les défenses, qu’il faille cheminer parfois dans le plus concret de la stratégie ou du marketing, ne change rien à l’affaire : seul un regard neuf débarrassé des représentations anciennes (« la représentation est la mort de la chose ») offre au manager une renaissance à la hauteur des enjeux qu’il porte .
Vous trouverez ci-dessous un court texte de Joel Bouderlique* sur ce thème. Je vous le soumets dans toute sa densité. ….puisse-t-il faire « encontre » avant de faire rencontre car seul ce qui résiste mérite attention.
Le rôle de l’écriture est aussi d’ouvrir des brèches dans le front des certitudes pour accéder au tout autre, ceux qui ont lu Char ou Blanchot, pour ne citer qu’eux, en ont fait l’expérience pure.
Ouvrir un texte, accepter sa musique, le déployer dans tous ses harmoniques, y revenir, laisser les associations se faire, faire des liens, voilà un travail de lecture « sérieux » [2] qui n’est pas sans rapport avec l’éthique du coach.
La rencontre
Le sens premier de rencontrer consiste à se trouver en présence par hasard. Le mot ‘rencontre’ évoque, selon le même dictionnaire Robert, la circonstance fortuite par laquelle on se trouve dans telle ou telle situation. Or lorsque dans la surprise, qui excède toute prise, du totalement imprévisible se produit, lorsque surgit ce que Henri Maldiney nomme le réel, cela constitue toujours au sens fort, non trivial, un événement. Il s’agit d’un au-delà des possibles qui se présente. Pour le qualifier Maldiney a forgé le terme de transpossible. Une rencontre c’est un événement qui est avènement du réel. L’accueillir suppose une capacité réceptive elle-même au-delà, à vrai dire en-deçà de la simple passibilité, capacité que Maldiney a nommée transpassibilité. La transpassibilité c’est donc la capacité de subir qui n’est limitée par aucun a priori : « comme l’événement lui-même, l’existence qui l’accueille est hors d’attente, infiniment improbable. Elle n’a rien à quoi s’attendre, rien à attendre de l’étant, elle est accueillante à l’événement »( Maldiney). C’est précisément le moment originaire de l’ex-istence, de la tenue hors de tout étant préétabli, dans lequel la présence se trouve, se découvre, elle-même comme transpossible. Les deux moments du transpossible et du transpassible exigent tous deux ouverture et vide au cœur de la présence. Temporellement il en va de même, l’instant y est ouvert et vide, en suspens. C’est pourquoi l’existence peut être définie comme crise et création. Replacée dans la trame apparente du continuum de la conscience, la notion japonaise d’aïda[1], permet de penser après-coup cette union du plein et du vide constitutive de la présence toujours à l’avant d’elle-même dans une double ouverture réceptive à l’impossible : ouverture au transpossible de l’événement et ouverture au transpossible de son propre avènement. Le lieu d’accomplissement de ce procès est l’ouvert et son temps est l’instant. Pour penser ce procès en français, il faut employer la notion de tension rythmique telle qu’elle apparaît en peinture dans les blancs qui mettent en tension les couleurs et en musique dans les espaces temporels intercalaires des notes. Décrire cette tension spatio-temporelle dans le champ de la présence a pour visée d’élargir la conscience à l’union du vide et du plein, de l’impersonnel et du personnel constitutive de soi et que nous nommons après-coup moi. L’efficace transformateur de soi propre à la rencontre intersubjective tient à la capacité de transpassibilité de chacun. La tentative thérapeutique vise cette ouverture productrice en chacun de la co-naissance propre à la rencontre intersubjective. Son apparition première non-thématique est le fond de monde climatique en résonnance directe avec l’humeur propre que restitue au mieux le terme allemand de Stimmung ; c’est donc là que s’ouvre la communication constitutive de la rencontre.
Joël Bouderlique
Ainsi, pour conclure abruptement, mais penser c’est aussi laisser se déployer le texte dans le temps, la rencontre est un moment pathique qui dépasse et même subvertit toutes les représentations anciennes; la rencontre se vit au sens le plus intense.
« L’existence est rare. Nous sommes constamment, mais nous n’existons que quelquefois, lorsqu’un véritable événement nous transforme.» Henry Maldiney
En tout état de cause, ce qui va le convoquer (l’événement reste imprévisible) et conduire au changement, c’est la capacité de contenance du coach, c’est-à-dire sa capacité transpassible à accueillir l’autre dans toutes les dimensions de sa réalité, même (et, surtout) celles qu’il n’attend pas, et, donc, à métaboliser ses difficultés y compris les plus inattendues (certains plus portés sur la psychanalyse que sur la phénoménologie pourront y voir quelque chose comme la fonction alpha de Bion)
Quoi de plus noble pour un manager, un coach aussi, que d’être en disponibilité de faire surgir un monde mais ça se paye du prix d’avoir à Ex-sister, défi o combien inconfortable quand on est pris dans les leurres du paraître et que toutes les demandes sont du type « opérationnelles » !!!!
Lucien Lemaire Cabinet co-presence
[1] Aïda, entre : rapport spatio-temporel constitué et constitutif de ses pôles, telles la rivière et ses berges.
[2] Le sérieux pour Kierkegaard surgit du refus de la fuite devant la finitude intrinsèque de l’homme
- Joël Bouderlique est né en 1951 à Lyon. Son doctorat en philosophie sous la direction d’Henri Maldiney, en 1980, et sa maîtrise en psychologie en 1985, l’ont orienté vers la psychopathologie phénoménologique de Bin Kimura auprès duquel il a effectué des recherches durant les années 85-88. Cette collaboration s’est poursuivie durant ses quatorze années d’enseignement en tant que Professeur étranger au Japon : dès 1991 à la faculté de culture comparée de l’Université de Tsukuba puis durant les trois dernières années à l’Université de Shimane. Ces fructueux échanges ont donné le jour à une quarantaine de publications, dont la traduction de nombreux textes du Pr. Bin Kimura, une partie étant publiée dans le recueil intitulé « Écrits de psychopathologie phénoménologiques » (Paris, PUF, 1992). Il vit actuellement en Bretagne où il poursuit des recherches indépendantes et intervient occasionnellement dans diverses universités japonaises.