Cet interview déjà ancien résume assez bien ma position sur les problèmes soulevés par ce truc bizarre qu’est le coaching. Comme tout interview, il a ses limites et chacun des points est à déployer et confronter!!!!
Pour débuter pouvez nous donner une définition du terme coach ?
Il y a autant de conception du coaching que de coach. Les définitions habituellement données sont d’une telle généralité qu’elles n’apportent rien. Je ne me risquerai, donc, pas à cet exercice (on peut toujours se reporter aux diverses associations professionnelles). Cette difficulté à définir le coaching est l’indice d’un manque de maturité de la profession qui méconnait, par ignorance, souvent le problème épistémologique.
Toute théorie du coaching devrait s’appuyer sur une anthropologie fondatrice seule à même de lui permettre de développer une cohérence propre. L’inculture philosophique, l’absence de réflexion épistémologique (il y a de notables exceptions, Dieu merci) , l’accumulation « à la Prévert » de modèles sans corpus théorique sérieux ouvre la porte à une critique mais aussi laisse ouvert à un espace de réflexion passionnant.
Vous avez faits des études de psychologie, pourquoi en venir au coaching, quel est le lien ?
L’une de mes convictions et que l’on ne saurait découper l’homme en tranche et séparer la partie professionnelle de la partie personnelle. Il y a forcément diffraction entre les champs, principe d’homologie. On ne peut penser la souffrance de l’homme au travail sans prendre en compte la globalité de sa personnalité. Les frontières entre thérapies et coaching sont, donc, beaucoup plus flous que ce que l’on veut bien le dire. Beaucoup de modèles sont d’ailleurs issus de la thérapie et curieusement les adeptes de la frontière en dur sont souvent des coachs qui n’ont aucune expérience sérieuse des psychothérapies : comment reconnaître un pays dans lequel on n’a jamais voyagé ?
La boussole est forcément du coté du coaché. Il doit à tout moment se reconnaitre dans le processus et faire le lien avec sa demande. Cela conduit à une conception beaucoup plus riche du cadre mais aussi beaucoup plus subtil. D’où la nécessité d’avoir soi même un solide parcours thérapeutique.
A quel moment une entreprise peut elle faire appel à vos prestations ?
Le problème de la prescription de coaching est complexe. Le malaise d’un cadre peut être le symptôme d’une difficulté plus globale de l’entreprise qu’il faut comprendre. C’est l’un des enjeux de la formation des coachs qui ont à comprendre, et rapidement, la situation dans son ensemble sous peine d’instrumentalisation. Il faut parfois proposer une prestation globale dans lequel vient s’insérer en son temps et heure, le coaching ; d’où la nécessité de travailler en réseau avec des compétences complémentaires.
Comme en médecine, il faut consulter dès qu’il y a malaise (démotivation, absentéisme, perte de sens…) mais on est déjà dans un processus curatif.
Idéalement, comme en médecine chinoise, le coach devrait intervenir en préventif en questionnant le sens, les valeurs et la cohérence (finalité, stratégie, contexte, cohésion, représentations, outils et méthodes) qui se déploient dans l’entreprise et qui doivent être portés par des dirigeants et des cadres exemplaires.
Or les dirigeants sont souvent des hommes très seuls pris dans un réseau de complaisance qui les coupe des forces vives de leur organisation. Le coach a aussi ce rôle de faire retour au dirigeant des enjeux et impacts de ses décisions, de ses positions, de ses comportements.
Que cherchent réellement les sociétés, à se sortir de leurs problèmes ou bien juste des conseils, et autres démarches ?
Les entreprises, comme les individus, n’ont pas toujours des demandes claires. Ce processus de clarification qui conduit au fameux contrat tri partite est délicat car les objectifs d’un coaching ne sauraient être fixés dans le bronze ! Dieu merci, la vie résiste ! Il y a souvent des demandes de prise de compétence, de délégation managériale, de leadership, de formation et de conseil.
Tout cela est, donc, à chaque fois fort complexe et le coaching n’est jamais un élément chimiquement pur !!! Le coach a à négocier en permanence entre des demandes ambigües, contradictoires y compris après la signature du contrat tri partite.
De plus tout cela évolue en fonction de la dynamique propre de l’entreprise et celle du coaché qui peuvent tout à fait diverger.
Il y a différents types et niveau de demandes qui ont à voir avec la culture de l’entreprise :
– demande de coaching narcissique : pour être manager il faut être coaché (Au secours !, René Girard et gare au coach peu à l’aise avec la rivalité mimétique)
– désignation de bouc émissaire
– externalisation et, donc, démission des responsabilités managériales (dans ces cas là, la personne à coacher devrait souvent être le supérieur hiérarchique du coaché)
– malaise dans l’organisation, et, il faut alors trouver la juste place pour le coaching
– – perte de repère d’un homme et le coaching prend là toute sa dimension d’humanité
– ….
Vous parlez de coaching d’équipe, qu’entendez-vous par là ?
Une équipe est un groupe de personne partageant entre autre un même objectif, une même finalité qui lui est imposé de l’extérieur.
En tant que groupe, elle constitue une unité propre qui a un comportement global sur lequel on peut travailler. Coacher une équipe va consister à travailler à six niveaux au moins :
– Le niveau de la finalité (tous les membres de l’équipe partagent t-ils une même finalité)
– Le niveau de la stratégie (tous les membres de l’équipe ont-ils une même compréhension de la stratégie, du projet)
– Le niveau du contexte (tous les membres de l’équipe ont-ils une connaissance appropriée du contexte dans lequel se déroule l’opération, ont-ils le même système d’évaluation)
– Le niveau des représentations (l’équipe évolue t-elle dans un univers de représentations partagés)
– Le niveau des affects et de la cohésion (il faut en permanence être attentif aux processus groupaux, groupes de base de bion, qui ne sont jamais complètement métabolisés et qui viennent contrecarrer la tâche à accomplir)
– Enfin, les règles, méthodes et outils
Accompagner une équipe, c’est, donc, la rendre attentive à la prise en compte et à la cohérence de tous ces niveaux.
Coacher une équipe, c’est de se préoccuper à la fois de l’équipe en tant qu’unité soumise à des comportements propres et des individus à l’intérieur de cette équipe. Cela ne peut se faire qu’en développant le principe de Concourance (on se reportera à la théorie des cohérences de R.Nifle) : comment chacun concoure au sens commun et l’équipe au sens de l’organisation qui la supporte.
Aider une équipe à se regrouper autour d’un sens commun accepté, c’est déjà un grand pas vers le succès.
Que de dégâts aurait on évité sur les projets si ce travail avait été effectué avec l’ensemble des parties prenantes !!! On réussit un projet « avec » jamais « contre ».
Vous pratiquez des formations et des séminaires à qui s’adressent t’ils et dans quels buts?
Outre la formation au coaching que j’anime à la faculté d’Economie Appliquées d’Aix en
Provence, je propose des formations et séminaires sur toutes les étapes du processus de conduite du changement et du management de projet au cours desquels je développe les différentes démarches évoquées plus haut.
Ces formations s’adressent aux managers en exercice, consultants, coachs qui souhaitent développer une compréhension multi disciplinaire des phénomènes complexes évoqués. Il s’agit d’apprendre
à comprendre pas d’acquérir une démarche abstraite.
Y a-t-il des cursus ou formations initiales pour devenir « coach »?
Il existe beaucoup d’écoles privées défendant souvent un modèle (pnl, at…) mais aussi quelques formations universitaires. Outre celle que j’anime, je pense au DU de Coaching de Paris 8, le DU de Coaching de Paris 2 et, bien sur, le CESA « coaching » du CRC HEC.
Nous avons choisi de développer un diplôme d’étude universitaire de 350 h à la Faculté d’Economie appliquée d’Aix en Provence. Notre ambition n’est pas de former des coachs « prêts à l’emploi » ce qui serait une escroquerie en si peu de temps mais de mettre en marche des candidats avec une compréhension suffisamment claire du métier pour qu’ils puissent commencer sainement leur carrière, et donc, leur formation réelle, en ayant conscience des enjeux, des difficultés et capable de comprendre qu’ils doivent continuer leur cursus de professionnalisation.
Les choix pédagogiques privilégient l’expérimentation et l’appropriation plus que la connaissance. Le Coach travaille avec lui-même et se confronte par définition à l’altérité. Il doit, donc, d’abord développer ses compétences relationnelles avec une acceptation et une compréhension vive de ce qu’il vit.
C’est terrible de constater le nombre de stagiaires prêt à aller visiter le monde des autres mais terrorisés lorsqu’il s’agit de visiter le leur !!
Notre formation a vocation à être exigeante et sélective et nous tenons à ce qu’elle le reste ce qui est un combat de tous les instants tant l’idée d’évaluation est devenu étrangère (et dans évaluation, il y a valeur !).
C’est pourquoi nous récusons les modèles réificateurs et nous développons les psychologies humanistes, l’approche systémique, la phénoménologie et évoquons le paradigme psychanalytique.
Dans le monde d’aujourd’hui où la complaisance prévaut nous avons parfois l’impression d’être des ovnis.
Qui dit coaching dit expérience pour aider en général des gens ayant des responsabilités? Quelle a été votre itinéraire pour en arriver la?
J’ai un long parcours professionnel dans le domaine de l’ingénierie informatique où j’ai eu l’occasion de diriger de grands projets. J’ai fait mes premières expériences d’accompagnement lorsque j’ai été responsable (et sur ma paye !) des chefs de projets et de leurs équipes puis j’ai été Directeur Qualité et j’ai eu à mener la certification ISO d’abord pour une région puis pour le groupe. Voilà bien un projet, qui permet de se frotter au changement !!
Membre du Comité de Direction régional, j’ai pu expérimenter dans ma chair les difficultés pour construire une vision commune, appropriée et la déployer dans une stratégie cohérente !
Comment faire accepter au Dirigeant une aide extérieure en évitant la réaction d’orgueil?
Comme souvent, c’est le sens de l’urgence qui crée la demande….et, l’ouverture d’un espace de parole, le soulagement. La solitude du dirigeant est mortifère, le coaching est l’un des moyens de le reconnecter à la vie concrète.
La réaction d’orgueil fait souvent parti du problème à traiter. Il faut, donc, la contextualiser et faire le lien entre ce qui se passe en séance et la problématique managériale amenée.
Les entreprises de coaching fleurissent partout ! Pensez vous que ce secteur d’activité, à un avenir ?
Difficile de répondre : c’est un métier où il n’y a aucune barrière d’entrée, d’où la pléthore et l’hétérogénéité des candidats. De plus la loi annoncée sur les psychothérapies draine vers le coaching tous les thérapeutes frustrés
Certains pensent que la marché va se réguler tout seul (encore la main invisible !) et entrevoient des lendemains qui chantent, d’autres pensent déjà à l’après coaching (après tout stratégiquement, il vaut mieux être premier entrant !)
Je n’ai pas d’opinion tranchée. Comme dit l’autre, on ne prévoit bien que le passé. Plus profondément, nous sommes dans un monde en perte de sens. Les boussoles s’affolent et le coaching peut devenir une aide pour trouver du sens. Encore faut-il avoir une théorie du sens sinon l’on en fait un mot valise, ce qui est une forme du nihilisme !!!
De plus voilà une vocation, soudain, bien lourde à porter !!
N’y a t’il pas un problème de label pour cette profession afin de pouvoir trier entre amateur opportuniste et professionnel?
Oui. Les certifications ne valent que ce qu’elles valent puisqu’elles sont strictement privées et délivrés par des gens qui sont juges et partis.
A la limite, c’est plus la qualité du travail de clarification personnelle qui est important et qu’il faudrait, donc, évaluer mais comment ?
Votre pire souvenir dans cet exercice difficile?
Après un coaching très difficile d’un cadre moyen très en souffrance, j’ai été convoqué par sa hiérarchie qui m’a demandé de confirmer la nécessité de s’en débarrasser ! Comme quoi, jusqu’au bout on risque de se faire instrumentaliser !