Avertissement: Ce texte constitue mon mémoire de MBA à l’IAE d’Aix en Provence en 2002. A sa relecture je ne peux qu’en mesurer la brulante actualité malgré la lourdeur de l’exercice de style universitaire!
Lucien Lemaire
École Européenne d’Hippocoaching et de Coaching à Médiation corporelle
(www.hippocoach.org) et (Co-Presence)
1. Crise de système ou crise des hommes
1.1. Un système en crise :
Il y eut l’affaire Enron puis Worldcom et quelques autres. Il y eut le laxisme d’Arthur Andersen. Et voici des milliers de personnes à la rue, des fonds de pension ruinés et un modèle hypostasié mis à mal.
Bien sûr, il y a les managers malhonnêtes, des sociétés de conseil laxistes, mais plus que cela, il y a l’aveuglement « incompréhensible » des acteurs économiques, des analystes financiers, de la presse spécialisée, voire du monde politique.
D’aucuns croient trouver une solution dans l’éthique ou la gouvernance d’entreprise. C’est oublié qu’Enron était fier de sa charte éthique.
Et puis, il y a la crise boursière et les moutons de Panurge élevés au rang de porteurs ultimes de la rationalité : en l’absence d’information suffisante sur un système, le seul comportement rationnel est de faire comme tout le monde en supposant que les autres ont plus d’information (sic) !
Et puis, il y a les crises liées à la saturation des marchés. Ah ces clients qui ont tous un téléphone portable et qui ne veulent plus en acheter.
Et puis, il y a les délires de la « net économie » qui ont brûlé les capitaux et installé sur les marchés une arrogante mythomanie dont on mesure aujourd’hui (est-ce vraiment sûr ?) les dégâts.
Aveuglement des patrons ici, aveuglement des financiers là, aveuglement toujours.
Et voici même que le mythe de la responsabilité des patrons s’effondre : on trouve même des Cassandres pour faire remarquer que l’échec d’un patron peut être bien plus lucratif que son succès !
Et voici que l’on découvre l’effet pervers de ce mécanisme des stock options que l’on encensait si fort il y a peu.
Alors, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Faut-il rajouter du contrôle et encore du contrôle si le contrôle ne marche pas ?
C’est oublier ce qu’Adam Schmidt proclamait déjà comme hypothèses au développement de ses théories sur la concurrence à savoir qu’il y fallait deux conditions fondamentales (mais immédiatement oubliées) : un état régulateur et des Chefs d’Entreprises vertueux.
Nous y voilà, il s’agit in fine de la qualité des hommes autant que de la validité de la rationalité des modèles eux-mêmes. Il s’agit, donc, de dépasser les clivages idéologiques, d’accepter de se questionner, de se remettre en question, d’être présent et vigilant pour agir au bon moment.
Voici bien une injonction paradoxale ! Car la vertu ne se décrète pas. Elle est d’une certaine mesure au-delà de la volonté. Et l’on a beau graver dans le granit les tables de la loi, la violence, la prévarication, l’appât du gain finissent toujours par faire retour.
Ainsi, l’éthique est une prothèse que l’on s’empresse de remiser dès qu’elle fait mal. Alors que faire quand on reste un homme de bonne volonté ? Comment concilier éthique et efficacité ? Comment être attentif à son marché dans un monde en perpétuel mouvement ? Comment ne pas « se prendre le mur » parce que l’on a le nez dans le guidon ?
1.2. L’entreprise en crise
L’entreprise est en crise… La création de valeur, source de créativité, de richesse à partager devrait mobiliser, fédérer, donner du sens. Sur le terrain, cependant, on observe plutôt le désenchantement des cadres.
Les managers sont pris dans une course infernale et sans fin où la satisfaction disparaît derrière une ambition impossible à satisfaire. Redoutable hypostase qui signe, un jour ou l’autre, l’échec pour l’entreprise qui la soutient, et la souffrance pour celui qui s’abandonne au mirage.
C’est peut-être qu’il existe intrinsèquement une confusion fondamentale et pathogène : celle de l’être et de l’avoir. Confusion redoutablement déstructurante qui fonde le leurre, aliène et rend impossible l’exercice de la liberté, c’est-à-dire l’émergence du nouveau.
La mise en place de nouvelles formes d’organisation plus réactives, plus labiles (projets par exemple) nécessite des modes de coopérations plus informels, et, donc, plus impliquant, basés sur la capacité des individus à entrer en relation, à négocier, à remettre en question les acquis et à gérer les tensions résultantes dans le système relationnel.
Ainsi, il convient d’assurer la cohérence sur la plate-forme minimale des valeurs et des comportements tout en garantissant l’altérité, c’est-à-dire la diversité suffisante pour s’adapter au mieux à un monde en perpétuelle rupture.
Le monde bouge : volatilité, chaos sont les attributs de ce monde post-moderne. Il faut pourtant décider et décider dans l’incertain, l’incomplet, l’ambigu. Cela conduit à une remise en question du modèle managérial classique au profit d’un nouveau type d’acteur : le leader, le visionnaire, le fédérateur, le constructeur de synergie.
À ce paysage nouveau, il faut une réponse nouvelle : construire en permanence de nouveaux référentiels impose une nouvel art de regarder… et de comprendre.
2. Une remise en question nécessaire
2.1. Les arts martiaux : un modèle d’efficacité
Ainsi, il ne s’agit pas seulement de questionner talents et compétences, mais de revisiter les vieux paradigmes :
– qu’est-ce qu’être efficace dans le business,
– doit-on opposer efficacité court terme et efficacité long terme,
– comment, lorsque l’on poursuit un objectif, ne pas perdre de vue l’environnement,
– comment rester « juste » sous la pression et dans la tempête.
Il devient de plus en plus clair que la réponse ne saurait être trouvée dans les lois, les règles, les procédures qui figent la créativité et filtrent la réalité. La plupart des managers sont honnêtes et leurs difficultés semblent plutôt liées à l’impossibilité de prendre de la distance, de se mettre en rupture par rapport aux conformismes professionnels. Il faut peut-être, dès lors, chercher une piste dans une autre manière d’être au monde plus ouverte, plus libre, plus sereine. Il existe un ensemble de pratiques qui lient étroitement l’efficacité, le développement personnel et l’éthique. Ce sont les arts martiaux et, en particulier, leur dépassement : l’Aïkido.
Voilà de biens étranges disciplines : impossible de nier leur redoutable efficacité et cependant tout l’apprentissage s’effectue dans le renoncement à l’efficacité. Voici un art de la mort qui s’affirme source de vie, voici qu’une nouvelle éthique naît de la négation de l’éthique…
Maître Ueshiba, le créateur de l’Aïkido est resté invaincu malgré les duels, les défis et les agressions qu’il a dû subir, et ce, à partir de son illumination, sans jamais mettre en jeux la vie de ses adversaires.
Comment peut-on comprendre cette redoutable efficacité ? Que peut-on tirer du modèle de l’Aïkido ? Quel lien peut-on faire entre l’Amour universel qu’il prêchait, et son efficacité ?
2.2. Le chemin est plus important que le but
Il est clair que cette approche mobilise de nouvelles qualités qui ne peuvent s’acquérir que dans un système d’apprentissage dont on pressent déjà qu’il est singulier.
Dans cette perspective, il apparaît fondamental de comprendre le dispositif que déploie l’Aïkido, et le type de processus mis en œuvre.
Il s’agit bien pour nous de fonder en droit un nouveau type d’intervention. Cela veut dire clairement qu’il ne s’agit pas de décrire les modalités concrètes de ces interventions, mais d’en poser les fondements épistémologiques.
Il en est, ici, comme du statut de la théorie en psychanalyse : elle guide l’apprentissage de l’intervenant, légitime et questionne la pratique, soutient la réflexion dans l’après coup, mais n’apparaît jamais en tant que rationalisation dans l’exercice de cette pratique. On dit qu’un psychanalyste expérimenté travaille dans le transfert, c’est-à-dire qu’il utilise l’énergie des affects réciproques pour alimenter le process de changement, mais en aucun cas la conceptualisation sous jacente.
Ce texte n’est pas un manuel de référence, encore moins un manuel utilisateur. Il est une tentative de jeter des ponts entre des approches très différentes, non pas au nom d’un syncrétisme toujours suspect ou d’une analogie, aussi féconde soit-elle, mais en mettant en évidence des structures et des opérateurs sur ces structures qui définissent quasi mathématiquement des invariants. Il y a, donc, une généralisation pertinente du comportement d’une structure à une autre de la même manière qu’on peut exporter, en mathématiques, un certain nombre de propriétés d’un ensemble à un autre pour peu qu’ils soient munis des mêmes structures.
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3. Le modèle martial
3.1. Une (très) brève histoire
Après des siècles de guerres incessantes, de violences et de pillages qui ont conduit à développer les techniques guerrières, le shogun Tokugawa établit, en 1603, un gouvernement militaire qui va perdurer jusqu’au 19e siècle. Dirigé par une main de fer, le Japon va connaître une ère de paix relative qui va permettre la socialisation des samouraïs.
Les arts du combat vont pouvoir, désormais, être utilisés pour le développement personnel. C’est la période du Budo, ou voie de la guerre, qui reste marquée par une éthique d’une grande rigidité.
La rencontre avec le bouddhisme Zen, le syncrétisme naturel des japonais qui n’hésitent pas à panacher leur religion traditionnelle, le shintoïsme, avec des apports exogènes, va réorienter les pratiques en faisant du geste gratuit, de la présence à l’instant, la base du développement d’un nouveau type d’efficacité.
Ce développement culmine avec la création de l’Aïkido au 20e siècle qui s’affirme au-delà de la violence de l’entraînement un « art de la paix ».
3.2. Le dépassement du Budo : l’Aïkido
L’Aïkido est un art martial : un art, car il propose une moyen d’expression corporel à travers une technique élaborée, et martial, parce qu’il s’agit bien du combat, c’est-à-dire, d’une mise en jeu possible de sa propre vie.
L’Aïkido est l’aboutissement de la pratique du Maître Fondateur Morihei Ueshiba (1883-1969). Ce dernier, considéré comme l’un des plus grands combattants de tous les temps (ses camarades le surnommèrent pendant la guerre sino-japonaise le « Dieu des soldats »), acquit la maîtrise de plusieurs disciplines martiales : jiu jutsu, sabre, lance, baïonnette… Cette pratique approfondie, confrontée à la réalité la plus brutale du combat, l’amena à élaborer une synthèse des enseignements qu’il reçut. |
Au cours de plusieurs situations extrêmement dangereuses, en particulier lors d’un duel avec un officier de police qu’il affronta sans armes, il fit l’expérience, proprement mystique, de l’unité de toutes choses. Il décida, alors, de réorienter sa pratique vers une forme active de la non-violence. L’Aïkido était né. Il tire son efficacité, non de la force brutale, mais de la disponibilité absolue du pratiquant, disponibilité qui lui donne cette vigilance lui permettant de sentir l’intention de son adversaire et donc, en première approximation, de l’anticiper. Il s’agit, bien sûr, de l’aboutissement d’un long et intense travail et il faut, d’abord, savoir passer par les expériences les plus concrètes.
Le travail de l’Aïkido conduit à la disponibilité du corps, au calme de l’esprit, à cette sensibilité particulière à l’autre qui donne l’intuition des situations. En cela, il favorise la clarté de la prise de décision dans quelque contexte que ce soit.
De plus, la Voie Martiale est rude et le pratiquant doit vite faire le constat (pour peu que l’on ne l’entretienne pas dans l’illusion) que l’efficacité ne peut s’acquérir qu’au prix d’un entraînement régulier, intensif et, pour tout dire, jamais achevé. Il s’agit là d’une leçon de vie fondamentale dans une civilisation qui ne connaît que le principe de plaisir.
3.3. Qu’est-ce que la voie martiale
3.3.1.Le paradoxe princeps
L’Aïkido se définit comme un art pour la paix, alors même que Maître Ueshiba a longtemps imposé un entraînement si dur et si brutal dans son dojo, que dans le milieu martial on l’appelait le Dojo de l’enfer.
Comment, dès lors, comprendre cette aporie fondamentale qui constitue justement le cœur de la voie martiale ?
Un premier niveau de réponse, très élémentaire, consiste à remarquer que pour être non violent, il ne faut pas avoir peur et être fort. Mais être fort, c’est s’exposer en permanence à trouver quelqu’un de plus fort. C’est pourquoi l’Aïkido propose une approche radicale et novatrice et c’est cette approche qui est susceptible de nous interpeller pour l’entreprise.
En effet, si l’on veut dépasser les illusions, les artefacts, il faut accepter d’expérimenter ses pulsions (ici la violence, la volonté de puissance).
Sans expérimentation pas de compréhension profonde et, donc, pas de lucidité réelle.
Ainsi, l’Aïkido se présente d’abord comme un dispositif d’élucidation :
Il faut passer par un stade d’acceptation pour trouver le chemin de la transformation
Tout le reste n’est que bluff et mensonge : c’est bien pourquoi l’éthique est un leurre ou une prothèse car elle ne saurait garantir le retour inévitable du refoulé.
Si l’on souhaite exporter ce modèle dans l’entreprise, il est important de caractériser ce dispositif d’élucidation.
Nous proposons une analyse à travers une triple caractérisation :
1- Un espace privilégié d’expérimentation
2- Un système d’apprentissage par la pratique
3- Une stratégie de déconditionnement par le paradoxe.
3.3.2.Un espace privilégié d’expérimentation
Pour faire une expérience, il faut construire un référentiel qui permette de distinguer clairement la réalité du phénomène observé du bruit externe.
Ce référentiel constitue un dispositif qui n’est pas sans rappeler le dispositif de la psychanalyse : c’est parce qu’il y a une disposition spécifique des lieux (le divan), une règle fondamentale (celle de tout dire), un analyste, que l’on peut repérer les phénomènes transférentiels.
L’Aïkido met en place une structure tout à fait isomorphe.
1- Un dispositif adapté
a. Le Dojo :
Il définit l’espace physique et symbolique qui délimite l’intérieur et l’extérieur. À partir du moment où l’on entre dans un dojo les règles du monde extérieur ne s’appliquent plus. Ce qui va se passer en ce lieu est spécifique. En cela il pose un référentiel comme le dispositif analytique pose le sien.
b. Le rituel
Il définit l’espace psychique en fondant, entre autres, les règles du rapport à l’enseignant et du rapport aux partenaires.
2- Une règle de base
La règle de base est ici fondée sur deux exigences :
– une exigence d’engagement maximum à tout moment,
– un respect inconditionnel du cadre.
Comme en psychanalyse la règle fondamentale est impossible à tenir. C’est l’analyse de ces manques qui permet d’inférer d’autres niveaux de signification qu’il faut mettre à jour.
C’est parce que, dans la pratique, cette règle n’est pas tenable que l’on pourra mettre en évidence les pulsions profondes, mais c’est parce qu’elles existent, ces règles, que l’on pourra les accepter pour les comprendre et les dépasser.
3- Un enseignant garant de la pertinence de la pratique et de l’éthique.
La clé du dispositif est le Maître lui-même. C’est lui qui va donner les consignes de travail et les règles de vie, c’est lui qui saura « remettre les pendules à l’heure » en cas de débordement, qui ne manque jamais de survenir du fait de l’engagement martial c’est-à-dire de l’affrontement.
Dans ce sens, la relation à l’enseignant est l’outil incontournable pour progresser dans le travail. Comme en psychanalyse, le pratiquant va passer par des périodes d’amour aveugle, de doute ou de haine qu’il devra comprendre et dépasser. Quelle qu’en soient les avatars, sa confiance profonde dans l’enseignant est fondamentale pour dépasser les périodes de doute.
On sait également que c’est toujours l’enseignant qui met fin à la relation avant même que le disciple ait pu comprendre qu’il a atteint un niveau suffisant et qu’il ait pu accepter l’inéluctabilité de la rupture. Cette étape est fondamentale dans la mise en mouvement autonome du disciple et peut se comparer au résidu inanalysé cher à Milton Erikson.
Il est important de souligner dès maintenant qu’il y a quelque chose de très profond dans ce dispositif. On examinera plus loin comment il est possible de l’exporter dans l’entreprise.
3.3.3.Un système d’apprentissage par la pratique
Il s’agit de comprendre en expérimentant, c’est-à-dire en faisant. Il n’est jamais question de rationalisation et lorsque vous demandez à un Maître une explication, il a fort à parier qu’il vous répondra « pratiquez ». Déjà à ce niveau là on peut percevoir que le dispositif tend naturellement à court-circuiter la raison qui se fonde souvent sur des habitudes.
Il y a cependant une direction dans le travail qui s’appuie d’abord sur une rationalité. La première étape, l’étape de base, concerne l’apprentissage des principes fondamentaux qui ne sont, in fine, que ceux de la mécanique.
Ainsi, il y a le temps des principes où l’élève va répéter inlassablement les mouvements de base dans un travail « très solide » qui lui permette d’appréhender les lois mécaniques en principe incontournables. L’étudiant met en place ses repères, ses limites et définit son espace futur de liberté. On commence à voir émerger ici ce que l’on théorisera plus loin comme logique proscriptive.
C’est parce que le pratiquant connaît désormais ses limites qu’il pourra, plus tard, exercer toute sa liberté à l’intérieur des frontières ainsi dessinées
La seconde étape est une étape d’intégration des techniques. Elle consiste à sortir de l’application scolaire en utilisant les principes acquis pour se trouver à tout moment dans une position qui minimise les risques. Ainsi, les principes utilisés dans un premier temps relativement à des mouvements précis sont décontextualisés et constituent maintenant des positions intégrées permettant une réaction adéquate à des types d’attaques très diversifiés. On réduit ainsi les mouvements parasites (réduction du bruit) et on améliore significativement la capacité de réaction.
On peut immédiatement, mais on y reviendra, faire le parallèle avec l’entreprise. En effet, les types d’organisation en place sont souvent adaptés à des problèmes spécifiques. Par exemple, un projet est construit pour répondre à un problème précis. Un tel type d’organisation est fragile dans un monde turbulent puisque des variations brutales de l’environnement ne peuvent être pris en compte instantanément. Il est possible de construire des organisations « martiales », c’est-à-dire qui soient construites pour s’adapter (cf. paragraphe 4.3)
Le troisième niveau de l’apprentissage est le niveau du dépassement de la technique qui s’incarne désormais dans une présence, une sorte de champ énergétique. L’efficacité, ici, naît de la perception instantanée de la relation et de l’adaptation immédiate, ce qui conduit à désamorcer la violence. Les personnes qui ont travaillé directement avec Maître Ueshiba et qui ont eu à l’attaquer lors de démonstration racontent tous l’extraordinaire viscosité qui les paralysait et qu’ils devaient faire un énorme effort de volonté, car ils sentaient « que c’était inutile ».
On touche là de très près la notion de leadership bien au-delà de son champ habituel d’application. Le leadership est une présence : un leader, ça ne se décrète pas !
3.3.4.Une stratégie de déconditionnement par le paradoxe
L’approche paradoxale, destinée à faire exploser les repères habituels, est, sans doute, l’une des caractéristiques les plus étonnantes de l’Aïkido.
À bien y réfléchir, l’efficacité absolue ne peut naître que de la disponibilité absolue.
Il ne s’agit en aucun cas d’anticiper la réaction de l’adversaire ou même d’anticiper l’anticipation comme l’ont théorisé les Karatekas car, alors, l’action se situe toujours dans une séquence temporelle et l’esprit ne saurait réagir à un événement se déroulant pendant cette séquence. Il est bien question, ici, de changer de niveau de logique.
Maître Noro, qui a été l’un des premiers envoyés du Fondateur en Europe, avait coutume de dire que l’esprit devait être comme un lac qu’aucune risée ne vient troubler alors toute action est immédiatement perçue : le pratiquant est hors du temps.
Pour questionner les conditionnements et redevenir innocent, il faut sortir du monde de l’explication, de la rationalisation de la pensée même.
L’une des voies pour y parvenir consiste à se confronter à des situations paradoxales. Chacun connaît les fameux Koan du Zen qui sont des aphorismes destinés à court-circuiter la raison pour faciliter le changement de niveau logique.
Qu’il soit clair que, lorsque l’on évoque la suspension du temps, on parle du temps psychologique, pas du temps factuel. L’objectif final est d’être à tout moment, quoi qu’il se passe, présent et disponible : ni esclave du passé ni fasciné par l’avenir.
Qu’advient-il lorsque le pratiquant a atteint ce niveau de conscience qui lui permet de ne plus être esclave de ses habitudes, de ses routines, de ses modes habituels de pensée, de son bavardage, en un mot de sa confusion ?
Il devient capable de percevoir dans l’instant l’ensemble des composantes d’une situation :
Il a acquis la
Vision globale
Par définition, il est très difficile de caractériser la vision globale. On peut cependant la résumer par trois attributs :
1- La présence juste
2- La position juste
3- L’instant juste
À ce moment et à ce moment-là seulement, le pratiquant présent à la situation, disponible, sans peur et sans préjugé, devient le centre du mouvement qui s’organise, comme dans un ballet, autour de lui.
4. De nouvelles organisations, de nouvelles compétences pour un monde en mutation
D’ores et déjà, l’accélération indispensable des process industriels nécessaire pour être « à temps » sur le marché (réduction des cycles), l’intégration tardive des dernières innovations obligent à des révisions douloureuses des types d’organisation traditionnels.
On voit se dessiner déjà de nouvelles formes plus souples, plus informelles et, donc, plus réactives.
Nous nous attacherons dans les paragraphes suivants à montrer qu’il est possible de construire des types d’organisations qui ont le comportement et l’efficacité que peuvent donner les arts martiaux à un pratiquant.
À travers le management de projet, nous tenterons de caractériser les organisations traditionnelles (nous les appelons organisations paranoïaques) et de décrire les attributs d’un modèle d’organisation ouvert (l’organisation martiale).
Ces dernières mettent en jeux de nouveaux types de comportement qui s’appuient sur des compétences nouvelles. Il nous appartient d’identifier ces compétences afin de construire un dispositif d’accompagnement adapté à leur développement.
4.1. Quelques mutations du monde industriel : de la maîtrise des processus à la réactivité des réseaux
4.1.1.L’ingénierie concourante et les approches « système » questionnent les modèles traditionnels d’organisation
Par définition, l’Ingénierie concourante tente d’intégrer dès la conception les préoccupations de tous les acteurs y compris ceux qui sont le plus en aval dans le processus. On en espère un gain de temps et un gain d’argent (il existe une loi quasi naturelle de l’ingénierie qui dit que plus un problème est détecté tôt, moins il coûte cher à traiter).
La complexité vient du fait qu’il faut désormais faire cohabiter, négocier des acteurs qui ont des cultures hétérogènes voire antagonistes : la production et la conception, la mécanique et l’électronique, l’informatique et l’électricité et « last but not least », les donneurs d’ordre et les sous-contractants.
Bon an mal an, depuis 1992, les pratiques ont évolué et, c’est ainsi, qu’aujourd’hui, chez Renault, il est impossible de séparer le couple infernal produit/process conduisant à la conception simultanée du véhicule, du procès et des outillages qui instrumentent ce procès.
De plus, l’arrivée en masse de l’informatique (15 à 17 calculateurs dans un véhicule), l’intégration des équipements ont conduit à reconsidérer le découpage organique d’un véhicule au profit d’un découpage fonctionnel induisant des nouveaux problèmes d’organisation aussi bien dans les métiers que dans les rapports projet/métier.
Cette intégration modifie, également, profondément les rapports clients/fournisseurs conduisant les équipementiers de premier rang à jouer un rôle prépondérant dans l’innovation et la conception, mais induisant chez les uns et chez les autres des problématiques inédites.
4.1.2.« Approches projet » et organisation ouverte
Un facteur d’efficacité souvent relevé, dans le cadre des approches par projet, semble être la capacité, pour une entreprise, de faire fonctionner des synergies (ressources, compétences) d’une part à travers les réseaux externes formels ou informels, et d’autre part à travers les réseaux internes.
On entend, ici, par réseau externe l’ensemble des relations stables que peut construire une entreprise avec ses fournisseurs ou ses clients.
L’industrie automobile est un exemple intéressant, car peu ou prou les grands constructeurs deviennent des donneurs d’ordre, des architectes et des intégrateurs laissant à leurs équipementiers la liberté de conception d’ensembles plus ou moins intégrés d’organes.
Cette évolution du métier de constructeur conduit, donc, à créer ou renforcer un réseau de fournisseurs avec lesquels il est dans l’obligation souvent douloureuse de coopérer.
De même, on entend par réseau interne l’ensemble des relations de synergie interne que peut mettre en place une entreprise afin d’accroître ses capacités propres à travers, en particulier, la notion de client fournisseur interne.
Ici aussi, les constructeurs automobiles doivent impérativement mettre en place de telles synergies pour au moins deux raisons :
– la réduction des durées de développement (objectif 24 mois chez Renault) les ont conduits à mettre en place des organisations en projet le plus souvent de type matriciel,
– l’introduction de l’informatique dans la conception d’une voiture introduit une approche système qui bouleverse les relations inter métiers puisque désormais il ne s’agit plus seulement de définir des interfaces, mais de gérer les rétro actions des équipements les uns sur les autres (i.e. toute modification de la conception d’un équipement peut avoir un impact sur les autres).
4.1.3.De l’organisation hiérarchique à l’organisation en réseau
À travers l’exemple des constructeurs automobiles, on voit pointer l’émergence de nouveaux types de coopérations qui tendent à s’incarner dans de nouveaux modes d’organisation qui peuvent se caractériser par :
– Un nouvel équilibre entre les modes de communication et de coopération formels (capitalisation des savoir-faire) et informels (adaptation à des situations nouvelles)
– Une plus grande responsabilité voire autonomie des unités de travail,
– L’intégration des fournisseurs dans l’organisation générale du projet (frontières floues),
– De nouvelles manières de spécifier le travail à effectuer ; on définit les contraintes que doivent respecter les systèmes et sous-systèmes, mais on ne décrit plus leur comportement (mise en place d’une logique « proscriptive »),
– L’importance du fonctionnement en réseau tant à l’intérieur des frontières traditionnelles de l’entreprise qu’à l’extérieur avec ses partenaires et ses fournisseurs.
4.2. De l’organisation paranoïaque….
Les modes d’organisation en projet sont à la mode. On en attend, en général, une meilleure efficacité et une meilleure maîtrise des objectifs. Cependant, elles sont frappées d’un vice fondamental : par définition, elles sont orientées vers la satisfaction d’un besoin spécifique et ont, donc, du mal à intégrer les modifications pseudoaléatoires de l’environnement qui modifient le besoin ou à développer des systèmes génériques (c’est-à-dire généralisables).
Si l’on examine une organisation traditionnelle en projet, on constate une succession hiérarchisée de strates :
L’entreprise qui développe une stratégie par rapport à son environnement et décide, donc, de s’équiper pour répondre au mieux aux nouvelles exigences de ses clients. Si nous choisissons un projet technologique, c’est pour la clarté de la démonstration, mais la logique est la même pour tout type de projet.
Les utilisateurs, cet équipement va être servi par des utilisateurs, qui constituent un deuxième niveau de clients qui peut être, d’ailleurs, en violente contradiction avec la Direction Générale
La maîtrise d’ouvrage a pour rôle de représenter les utilisateurs, d’arbitrer entre les besoins contradictoires, de vérifier et d’allouer les budgets, de piloter l’ensemble du projet, de rédiger les spécifications à partir des besoins recueillis, d’assurer la validation et la réception de l’équipement.
La maîtrise d’œuvre, dans le cas où le projet serait complexe, a pour vocation de piloter la conception et la réalisation du projet. Elle s’interface avec la maîtrise d’ouvrage qui lui transmet les spécifications. Elle va organiser le projet en différentes équipes, rédiger les spécifications pour chacune des équipes, spécifier et tenir à jour les interfaces, planifier et piloter la réalisation du projet, réaliser les vérifications et les validations internes.
Les Chefs de projet (des sous projets) qui reçoivent des objectifs (coût, délai, qualité) et doivent s’organiser pour les atteindre quoiqu’il arrive.
On peut caractériser ce type d’organisation :
– c’est une organisation fermée, en ce sens que le projet n’a la perception de l’environnement stratégique du projet qu’à travers la propagation (au sens quasi acoustique) d’une déformation qui lui parvient des couches supérieures. Il est, donc, coupé de la réalité vive de l’entreprise et ne peut obéir qu’à sa propre logique interne : c’est pourquoi, c’est une organisation paranoïaque !
– c’est une organisation hiérarchisée et spécialisée taillée pour répondre à un besoin spécifique et donc incapable de réévaluer le cadre de sa prestation. Elle est, donc, fragile (compétences pointues et peu remplaçables), sensible aux aléas (difficultés d’adaptation), génératrice de tension par perte du sens.
– C’est une organisation basée sur une logique prescriptive : chaque niveau formalise ce qu’il a compris du besoin pour le niveau suivant. L’objectif est, ici, d’obtenir une mythique formalisation exhaustive, ce qui induit un effort permanent de clarification/modifications à jamais insuffisants
– C’est une organisation procédurale, car elle est rivée sur ses objectifs et doit multiplier les contrôles et les règles pour assurer un semblant de sécurité.
Il est évident que si le projet est suffisamment conséquent, les objectifs du Chef de Projet ne peuvent jamais être atteints. En effet, l’environnement bouge, les stratégies doivent s’adapter et l’entreprise cliente modifie ses objectifs. Ces contraintes vont diffuser à travers l’organisation sous forme de « déformations » qui seront analysées par le projet, incapable de leur donner un sens, comme des manquements du client (insuffisance de spécifications, modification du besoin…).
Le Chef de Projet continue à poursuivre des objectifs qui n’ont plus de sens par rapport à la problématique réelle.
Lui et sa hiérarchie répondent, en général, par deux logiques contradictoires :
1- un renforcement du contrôle des processus de pilotage et de soutien,
2- un court circuit des processus techniques (conception, tests…).
La pression et les doubles contraintes rendent la situation invivable pour le chef de Projet.
Les conséquences sont de plusieurs ordres :
– renforcement des contrôles et des procédures formelles dont chacun sait qu’elles ne seront jamais appliquées,
– tension avec le client qui obtient un équipement inadapté (au mieux adapté pour un besoin obsolète !), peu robuste,
– dérapage important et quasi systématique, des coûts et des délais.
Il faut bien comprendre que, si ce type d’organisation apparaît aujourd’hui rétrograde, il a pu être adapté dans l’histoire. En effet, la rusticité des technologies de l’information a conduit voici une vingtaine d’années à privilégier la rigueur formelle des processus à la convergence de processus itératifs d’adaptation mobilisant tous les types d’acteur.
4.3. ….À l’organisation martiale
A contrario, il est possible de construire une organisation martiale.
C’est-à-dire, si l’on se reporte aux attributs de la martialité développés plus haut :
– Vigilante (vision globale), capable de détecter dans l’environnement et de traiter des problèmes dont elle n’a, a priori, aucune connaissance,
– Auto-adaptable : capable de se reconfigurer pour traiter les nouveaux problèmes,
– Réactive, c’est-à-dire que l’adaptation doit s’effectuer au temps juste (ni trop tôt, ni trop tard).
Les caractéristiques d’une telle organisation sont les suivantes :
1- une organisation ouverte, c’est-à-dire qu’elle intègre à la fois ses clients et ses fournisseurs ce qui autorise une appropriation naturelles des contraintes de tous. Une telle organisation a des frontières floues et peut facilement capturer des unités externes.
2- une organisation basée sur une logique proscriptive c’est-à-dire qui définit les objectifs généraux et ce qu’il ne faut pas faire (par opposition à la logique prescriptive qui définit ce qu’il faut faire) : la logique « proscriptive » permet une plus grande créativité en délimitant les aires de liberté à l’intérieures desquelles les équipes peuvent innover.
3- une organisation fractale, c’est-à-dire invariante par changement d’échelle (des équipes constituées d’équipes…). Une telle organisation accroît la robustesse globale, favorise la redondance (cf. ci-dessous) et une juste complexité (on peut rappeler qu’une organisation doit avoir au minimum la même complexité que l’environnement qu’elle prétend traiter). Par ailleurs, la complexité du réseau favorise l’émergence de comportements propres de l’organisation ce qui est un autre type d’adaptabilité.
4- une organisation doublement redondante : redondante parce que tout le monde possède les connaissances de base (en particulier en management de projet) ce qui permet une diminution de la communication formelle au profit d’adaptations plus souples et une plus grande robustesse, puisque tout le monde peut remplacer tout le monde. Redondante, parce que des unités séparées traitent d’une manière coordonnée ou non des mêmes problèmes. Dans ce cas, les unités redondantes peuvent être spécialisées à la demande pour traiter de nouveaux besoins. On réalise ici un premier niveau d’adaptation.
5- entretenir une diversité suffisante : il doit exister au sein de l’organisation des compétences « gratuites » (c’est-à-dire dont on a pas à priori besoin sur le projet) mais qui sauront détecter dans l’environnement les sources d’innovation (par exemple on peut supposer qu’il est intéressant de disposer dans un projet de développement automobile de biologistes en vue, un jour, de concevoir des applications bioniques).
De telles organisations existent même si elles ne sont pas conceptualisées comme cela en particulier dans le domaine de la construction automobile.
J’ai été, en effet, frappé lors de mes interventions chez Renault par la contradiction entre une relative efficacité macroscopique (innovations prises en compte très tardivement dans le cycle de développement) et un niveau de chaos local très angoissant pour les acteurs.
L’organisation globale du projet apparaît, in fine, comme une bonne approximation du modèle martial.
Exemple de Diversité Suffisante :
4.4. De nouvelles compétences pour de nouvelles organisations
On conçoit que, dans une organisation martiale, les compétences attendues soient radicalement différentes que dans l’organisation paranoïaque.
En première approximation, on retrouve une différence homomorphe à celle entre un manager et un leader. D’un coté on doit mettre l’accent sur la maîtrise des processus et le contrôle, de l’autre sur l’inspiration, l’arbitrage.
Je me souviens de Yves Dubreil, le Chef du Projet Twingo, qui se définissait comme « celui qui crée les conditions ». Un exemple : du fait de l’ingénierie concourante, il pouvait arriver que des équipes travaillant sur des problèmes différents mais connexes trouvent des solutions innovantes mais qui, se révélant incompatibles nécessitaient un retour en arrière et, donc, un surcoût. Dans ces conditions, il prenait, sur le budget global du projet, les surcoûts induits qui n’étaient, de ce fait, pas à la charge des équipes. Il évitait ainsi de brider l’imagination de ses collaborateurs par une double contrainte (soyez créatif mais payez-en le prix). Il était, donc, celui qui élabore les règles et les proscriptions et qui arbitre.
Dans ce nouveau paradigme, le leader doit :
– Savoir identifier les nouveaux défis et leur faire face
– Agir sereinement dans un monde turbulent,
– Créer les conditions collectives de la performance,
– Favoriser l’émergence du nouveau,
– Questionner les habitudes lorsqu’elles deviennent des freins.
Et pour ce faire, il doit devenir capable de :
– Accepter les faits sans préjugé ni conditionnement,
– Innover en créant la rupture avec les schémas connus,
– Explorer de nouvelles manières de penser,
– Etre en relation autrement: ni piégé par l’autre ni coupé de l’autre,
– Etre complètement présent: ni fasciné par le passé ni figé dans l’anticipation,
– Dépasser la dépendance aux outils et méthodes en les remettant à leur juste place,
– Inspirer plutôt que conduire.
Ce type de leadership que l’on pourrait qualifier de leadership de l’effacement n’est pas commun en occident et s’appuie sur deux vertus martiales :
– la présence juste, qui s’appuie sur l’attention, la vigilance, la disponibilité
– le « non agir » qui n’est pas le rien faire mais s’appuie sur l’accompagnement des processus profonds et non sur l’affrontement.
On comprend la dimension anxiogène constatée sur le terrain, et qu’il soit difficile d’abandonner la volonté de maîtrise.
Il est, donc, important de développer et acquérir une grande maturité affective.
Dans ces conditions, les dispositifs habituels d’accompagnement se révèlent insuffisants. Il est possible de penser de nouvelles formes de travail qui permettent l’expérimentation et la mise en évidence de ces qualités. Ici aussi, l’Aïkido constitue un modèle incontournable
4.5. Pour une efficacité absolue : devenir le centre du mouvement
Nous avons tenté de caractériser à la fois dans son processus d’apprentissage et dans son achèvement ce qui pouvait « expliquer » l’extraordinaire efficacité de l’Aïkido.
Dans ce paragraphe nous essayerons de caractériser ce que peut être la vision globale pour un manager.
4.5.1.La notion de présence juste
Etre à l’écoute:
Diriger, aujourd’hui, une entreprise, c’est beaucoup plus que gérer :
– C’est être en permanence à l’écoute de son environnement pour anticiper le marché,
– C’est accepter que le collectif soit plus riche que l’individuel et qu’il soit impossible de tout maîtriser.
Etre disponible :
– être libéré des schémas habituels qui enchaînent au passé (conditionnement),
– accepter de ne plus se focaliser sur les objectifs,
– accepter que, derrière toute crise, il y ait un problème de management à identifier, des valeurs et des comportements à questionner.
Comprendre autrement
Qu’on se souvienne des erreurs stratégiques d’Alcatel refusant de croire au téléphone portable individuel et mettant son effort sur le téléphone de voiture se pénalisant ainsi dramatiquement dans son positionnement |
ou de Gemplus balançant entre son métier traditionnel de fabriquant de carte à puce et une nécessaire différentiation dans le service à forte valeur ajoutée
Aujourd’hui, pour gagner, il ne s’agit plus d’anticiper mais de créer son propre marché. Il est, dès lors, impératif de se dégager des schémas connus et de se différencier en créant la rupture. Il est nécessaire de penser radicalement autrement et, donc, de :
· identifier les limites dues à des grilles de lecture habituelles,
· identifier et rendre explicites les repères implicites,
· innover et construire de nouveaux repères, etc.…
S’incarner pour être en contact
Il est possible, maintenant, d’apercevoir quelles seraient les caractéristiques d’un leadership pour l’entreprise du 21 eme siècle.
L’analyse de l’Aïkido nous a montré l’importance de la pratique dans la prise de conscience et le développement personnel : cette pratique conduit, à travers le processus d’intégration décrit, à une concentration permanente de la conscience en un seul point : le hara. C’est parce que la conscience et le corps sont unifiés dans le présent qu’il est possible de se libérer de la mémoire et d’accéder à une perception plus large de l’environnement. La concentration en un seul point (Ekagrata en sanscrit) fonde un référentiel qui permet d’organiser le monde (devenir le centre du mouvement).
Il n’y a pas de présence possible, donc, de leadership possible sans cette capacité qui s’acquiert aussi à partir d’un travail à la fois sur le psychique (représentations, mémoire, attachement, narcissisme) et sur le corps : respiration, dynamique.
Il est souhaitable d’en tirer dès maintenant quelques conséquences.
En effet, on ne peut pas être en relation avec les autres si l’on n’est pas en relation avec soi-même et, d’abord, avec son corps. Dans ce sens la dimension non verbale est fondamentale dans la construction du leadership.
4.5.2.La notion de position juste :
Pour qu’une ambition, une vision, une stratégie s’incarne dans les faits et déploie son efficacité, elle doit développer une quadruple exigence quasi paradoxale :
a) une exigence de cohérence entre la vision, l’entreprise, les valeurs et les comportements à tous les niveaux de l’organisation : c’est l’exemplarité des comportements managériaux (on rejoint là, au niveau institutionnel, la notion de congruence introduite par C.Rogers qui implique d’ailleurs la capacité d’avoir à tout moment la claire conscience de ses sensations et de ses émotions !)
b) une exigence de cohésion au niveau des équipes et des projets, en phase avec les projets et les objectifs de l’entreprise,
c) une exigence d’adhésion de l’individu en identifiant les ressorts du projet personnel et les résistances pour les articuler au projet collectif,
d) une exigence d’altérité qui doit être perçue comme complémentarité.
Cette quadruple exigence renvoie, ici au niveau personnel, à ce que nous avons identifié au niveau des organisations :
– la redondance qui fonde la cohérence (c’est parce que nous sommes pareils que nous nous comprenons),
– la diversité qui fonde l’altérité et permet l’émergence de points de vue inattendus et constructifs.
L’un et l’autre sont nécessaires pour assurer la cohésion.
Chacun des acteurs, s’il veut éviter les conflits stériles dans des jeux de pouvoir sans fins, doit avoir une claire conscience de ses ressemblances et de ses différences.
4.5.3.La notion d’instant juste
La notion de rapidité est une notion trompeuse. Le travail du Fondateur de l’Aïkido donne l’impression d’une étrange lenteur. Cependant, tous ceux qui ont essayé de l’attaquer, y compris avec des armes à feu, n’ont jamais réussi à l’atteindre. Il se produit une sensation de concentration du temps dans l’instant lorsque le mouvement est juste.
Il ne s’agit, donc, pas d’être rapide mais d’être présent au moment exact. A cet instant précis, il est possible d’imposer son propre rythme car il n’y a pas de rupture pouvant provoquer un réflexe parasite : le partenaire semble aspiré comme par un aimant. Dans un film de Kurosawa, le samouraï qui déjeune dans une auberge est importuné par des brigands qui en veulent manifestement à sa bourse. Afin de les impressionner, il attrape les mouches avec ses baguettes. Il s’agit bien sur de cinéma mais elle s’appuie sur une anecdote véridique : le mouvement n’est pas rapide, il est exact.
C’est une grande leçon pour l’entreprise qui confond souvent, au nom d’une mystique de l’action, vitesse et précipitation. Pour arriver sur un marché ni trop tôt, ni trop tard, il faut avoir la vision globale de la situation qui place l’entreprise au-delà de toute surprise.
De même, une entreprise vigilante, qui cultive la vision globale, est attentive à la foi à son environnement externe mais aussi à sa réalité interne. C’est par l’exploitation des compétences potentielles, aujourd’hui inutiles, que se détectent des tendances du marché radicalement nouvelles.
5. Revoir les dispositifs d’accompagnement
5.1. Les principes
Il ne s’agit pas tant en fait de construire un dispositif nouveau que de revenir à une rigueur épistémologique qui permette de travailler efficacement et sans danger des compétences qui mobilisent et engagent des éléments de la personnalité.
Un tel dispositif doit, de la même manière que les arts martiaux mobilisent les pulsions agressives, favoriser l’expression des comportements liés au pouvoir, à la rivalité et à l’exercice des responsabilités.
On peut citer pour mémoire mais sans ambition d’exhaustivité :
– La rivalité,
– Les inhibitions liés à l’émotion,
– Les signes extérieurs du pouvoir,
– L’attachement excessif à l’image
– ….
Pour être repérables, compréhensibles, ces comportements doivent s’exprimer dans un cadre symbolique qui permette de mettre en évidence la dimension fantasmatique de ce qui se joue.
Ces comportements ne peuvent être mobilisés, sans danger et en toute éthique, que dans le rapport au Coach qui devient le support des projections du manager. C’est, donc, par définition, dans la relation coach/coaché, que se trouve l’outil fondamental qui autorise le changement et le développement. On conçoit la responsabilité énorme du coach et la nécessité d’avoir fait lui-même un sérieux parcours de clarification personnelle afin qu’il ne se fasse pas capturer par la problématique de son client ou ses propres problèmes personnels.
Un coach devrait être évalué sur sa compréhension clinique et non sur les modèles théoriques qu’il utilise.
5.2. Les fondements épistémologiques
5.2.1.Analogies entre les différents dispositifs
On l’aura pressenti, il existe beaucoup plus qu’une analogie entre le dispositif martial, le dispositif analytique et le dispositif du coaching.
Les trois dispositifs sont construits de la même manière :
– Un espace qui définit une topologie (i.e. une distance entre les acteurs),
– Un sujet « supposé savoir » dont la simple présence symbolique mobilise les pulsions,
– Un acteur engagé dans un processus de changement
– Un « environnement » externe qui est agit ou raconté dans le dispositif
Ce sont les affects qui vont nourrir la dynamique du processus de clarification : c’est parce que les rapports de pouvoir vont inévitablement s’actualiser dans la relation coach/coaché, dans un dispositif par définition neutre pour ce champ-là, qu’il est possible, pour le manager, de prendre conscience de ses comportements.
5.2.2.Différences entre les dispositifs
La différence entre les dispositifs s’incarne essentiellement autour des deux premiers items du dispositif à savoir l’espace symbolique et le « sujet supposé savoir » c’est-à-dire la position symbolique du Maître (versus Analyste versus Coach).
1- Différences entre les espaces :
a. Caractéristiques différentielles de l’espace analytique :
L’espace analytique se caractérise par la position allongée pour le patient et la non-visibilité de l’analyste, qui se tient derrière lui, favorisant la transformation optimale « de l’appareil psychique en appareil de langage et réciproquement » (A.Green) et, donc, comme dans un rêve, les effets de condensation (charges des représentations verbales par de multiples connotations affectives, transférentielles…) et de déplacement (de la psyché vers le langage, des objets inconscients vers le transfert).
b. Caractéristiques de l’espace martial :
L’espace martial est caractérisé par la prééminence de la mobilisation du corps sur le discours favorisant la décharge énergétique et la recherche « d’autres ressources » à travers l’expérimentation et l’engagement physique
c. Caractéristique différentielle de l’espace du coaching
L’espace du coaching est un espace intermédiaire relativement souple qui, en favorisant les répétitions dans la relation avec le coach, permet un repérage simple des infiltrations irrationnelles dans le discours rationnel.
2- Différence entre les positions symboliques
Les « attentes » sont fortement induites par la position annoncée et surinvestie fantasmatiquement du Maître, de l’Analyste, du Coach. Dans l’analyse, la personne de l’analyste est investie d’un savoir mythique sur l’inconscient du patient favorisant les polarisations parentales. Dans les arts martiaux, le Maître est investi de la connaissance tout aussi mythique d’une supra connaissance spirituelle qui permet un travail de déconditionnement. Dans le Coaching, le Coach est investi d’une connaissance imaginaire des outils managériaux qui vont mobiliser autour de son intervention une demande d’efficacité magique et permettre d’initialiser un travail sur les fixations comportementales.
Ainsi, chacun des dispositifs évoqués produit, donc, ses effets propres et différentiels en orientant l’imaginaire du client vers des problématiques spécifiques.
5.3. Le dispositif :
Le dispositif est constitué de trois éléments :
– un espace référence,
– une règle (contrat de communication),
– une relation duelle.
Il s’agit, ici, de délimiter une portion de l’espace/temps et une organisation de la rencontre qui garantisse un maximum d’étanchéité par rapport au réel.
Tout ce qui s’y passe doit être « rapporté » pour pouvoir être travaillé dans sa dimension imaginaire. Comme pour l’analyse, il ne doit pas y avoir irruption du « réel » dans le dispositif.
L’espace :
Il s’agit de construire une « autre scène » qui doive permettre avec un minimum d’ambiguïté le repérage des effets subjectifs.
En ce sens, la spécificité du lieu, le décor, l’isolement et les rituels de début et de fin de séance permettent de définir dans le temps et dans l’espace une singularité parfaitement repérée par les deux acteurs.
Il convient de prévoir une pièce confortable, isolée phoniquement, sans téléphone. Dans la mesure du possible, il est préférable qu’il n’y ait pas de bureau (dissymétrie de la relation) mais on prévoira une petite table et deux fauteuils disposés de manière à éviter le face à face.
L’objectif de cette disposition est de neutraliser les effets de pouvoir induits par l’architecture de la pièce.
Celle ci sera équipée de plusieurs chaises (voir paragraphe « outils »), d’un « paper board » et de tout ce qui faut pour écrire sans avoir à demander à l’extérieur.
La fréquence, les dates, la durée des séances sont fixées contractuellement. Il est bien sûr illusoire de penser que les dates ne pourront être remises en question. Il n’en demeure pas moins que le travail sur la fréquence des modifications peut se révéler intéressant et symptomatique d’une difficulté, par exemple, dans le choix des priorités.
La règle fondamentale :
Elle définit le contrat de communication. On définira l’objet du contrat, toujours un problème opérationnel ou managérial concret, l’objectif du contrat et à quelles conditions celui-ci est atteint.
Dès la première séance, on énoncera la consigne. Cette dernière a pour objectif de délimiter l’espace de la parole et des modalités d’expression. Elle peut être très variable. En tout cas, il est important qu’elle soit énoncée clairement (par ex. « Nous allons travailler sur votre projet de délégation, je vous demande de me rapporter le plus fidèlement possible les actions que vous avez entreprises, les résistances que vous avez rencontrées, vos sentiments relatifs à ces actions, aux personnes que vous avez rencontrées dans ce cadre ou celui de votre relation avec moi »).
Comme toute règle, celle-ci est impossible à tenir mais les écarts par rapport à la règle sont aussi intéressants que le respect compulsif. C’est bien parce qu’une règle est énoncée dans un espace donné que l’on va pouvoir mettre en évidence, dans les manques autant que dans les accords, les ressorts profonds des dynamiques subjectives en jeu.
Une relation duelle :
La relation duelle, le coach et le coaché, favorise la mobilisation et le repérage des affects. C’est bien parce qu’il y a et qu’il n’y a que deux acteurs que peuvent se repérer les projections réciproques.
Cela ne veut pas dire que les autres n’existent pas. Bien au contraire, il n’est souvent question que d’eux, mais vus à travers l’instrument de mesure que constitue le dispositif à débusquer l’imaginaire.
Qu’on se rappelle le dispositif « Aïkido » : la consigne est de respecter le partenaire et les valeurs de non-violence. Le Maître aura à pointer les manques et à introduire un dialogue où va s’exprimer les doutes, les peurs, l’agressivité du pratiquant. La violation du dispositif, le discours sur l’autre devant le Maître, les consignes de ce dernier, qui sont toujours déroutantes, vont permettre au pratiquant sincère de dépasser le problème soulevé.
Ici, les Autres sont « parlés » avec le coach. Cette parole et cette parole seulement s’actualise et se polarise dans la relation duelle. Elle devient alors révélatrice pour le coaché pour peu que le Coach ait l’habileté de la lui faire entendre.
Bien sûr, il est possible d’utiliser des inducteurs (des outils spécifiques) qui peuvent favoriser la prise de conscience.
5.4. Outils et statut des outils
5.4.1.Transfert et contre transfert
Le premier et, en étant un peu provoquant, le seul outil, est la relation qui s’instaure entre le Coach et le Coaché et plus précisément le contre transfert du Coach.
C’est parce que celui est clair avec ses propres problématiques, et qu’il a intégré à travers sa longue démarche personnelle les éléments théoriques qui le soutiennent, qu’il est capable d’intervenir intuitivement d’une manière juste.
Qu’on se reporte aux travaux de psychologie cognitive sur l’expertise si l’on a peur de la psychanalyse ou des arts martiaux et l’on verra que toutes les études mettent en évidence ce fait singulier : un expert ne se trompe pas souvent mais il est souvent incapable de fonder son diagnostic. L’hypothèse retenue est que la pratique permet, avec l’expérience, un dépassement de la rationalisation théorique qui passe à l’arrière-plan. Le processus de décision s’effectue alors par l’intermédiaire de patterns globaux, de signes sans significations immédiates dans le process de rationalisation.
Ainsi, le statut de la théorie est de fonder, en droit, la légitimité mais elle n’intervient jamais directement dans le processus de décision. C’est l’expérience qui s’actualise dans la parole par un processus inconscient.
Il n’est pas question d’interpréter le transfert mais de travailler dans le transfert.
Ainsi, non seulement, il ne s’agit pas de limiter ou de maîtriser le contre transfert comme le prétendent la plupart des praticiens, mais encore il convient de favoriser son expression. Il est curieux de voir que tous ceux qui invoquent Carl Rogers sont aveugles sur la réalité de sa pratique. C’est son profond sens clinique acquis par une longue pratique lucide qui lui permet cette pertinence fabuleuse du questionnement. Pour avoir fait l’exercice d’un travail, en réel, sur un certain nombre de ses entretiens, je peux témoigner de la profondeur non triviale de ses interventions.
Bien sûr, les intuitions ne sont pas suffisantes, les hypothèses retenues doivent être validées par un questionnement prudent.
In fine, cela pose la qualité de la formation des praticiens et leur engagement personnel dans un processus de clarification. La théorie, qu’elle soit pauvre ou riche, n’est souvent que le cache misère de la peur de s’ouvrir à la relation du fait d’un parcours personnel insuffisant.
5.4.2.Le psychodrame individuel à deux
Comme on l’a vu, ci-dessus, l’enjeu est la compréhension fine des problèmes subjectifs du coaché.
Il peut être intéressant d’utiliser les techniques du psychodrame individuel à deux. Il ne s’agit en aucun cas de jouer une situation réelle mais au contraire d’utiliser d’autres types de situation pour faire comprendre la prégnance de tel type de position (distance symbolique).
Les techniques sont nombreuses, on citera pour mémoire (tiré du livre « précis de psychodrame » de Anne Ancelin-Schutzenberger).
5.4.3.La communication paradoxale
Comme on l’a vu dans le dispositif martial, il faut rendre le sujet capable de voir « autrement », c’est-à-dire capable de mettre en question sa propre logique. Cette capacité de changer de niveau ne peut pas s’acquérir par une démarche rationnelle. Il faut « court-circuiter » la raison pour pouvoir accéder à un autre niveau de compréhension.
Le Bouddhisme Zen a inventé le « Koan », l’école de Palo Alto et Milton Erikson la communication paradoxale.
Il s’agit, à l’aide d’interventions adaptées, de mettre le sujet dans l’impossibilité d’opérer un choix autrement qu’en abandonnant son cadre de référence.
Comme pour le psychodrame, nous citerons quelques techniques mais il doit être clair qu’elles n’ont aucune signification en dehors d’une stratégie de changement claire et réfléchie :
– La double contrainte : l’idée sous-jacente est de mettre le coaché dans une situation impossible dont il ne peut sortir qu’en changeant,
– La prescription de symptôme : il s’agit, ici, d’amplifier jusqu’à la caricature un comportement difficile du coaché, ce qui finira par le mettre dans une situation de double contrainte avec son environnement ou avec le Coach l’obligeant ainsi à modifier le comportement fautif,
– L’épreuve : le Coach propose à son client une alternative entre son comportement symptomatique et une épreuve qui s’avère bien plus pénible conduisant celui-ci à changer son comportement symptomatique
– …
Il existe bien d’autres techniques qu’il ne nous parait pas utile de décrire ici. L’idée à retenir est que, pour dépasser le symptôme et permettre un apprentissage d’un autre niveau, il peut être utile de développer une stratégie de changement s’appuyant sur la construction de doubles liens. Il n’y a alors pas d’autre solution à cette alternative que de changer de niveau de compréhension en abandonnant le comportement nuisible.
5.4.4.Les outils à visée de médiation
Il existe une variété d’outil managériaux qu’il est possible d’utiliser à condition de ne pas les réifier (matrices de leadership, cartes culturelles, 7S, temple grec…). De tels outils sont sans aucun doute utiles pour le manager mais dans ce procès particulier qu’est le coaching, ils ne peuvent servir que de deux manières.
1- comme objet transitionnel :
En début de relation, il se peut que le coaché soit inhibé par l’angoisse d’une situation nouvelle et structurellement anxiogène dans son dispositif. Il est alors possible d’utiliser ces outils, comme espace médiateur, entre les deux acteurs. Ils sont à abandonner dès que la relation est suffisamment établie.
2- Comme support projectif
Une autre manière de les utiliser consiste à en faire une surface projective. La perception qu’à un manager de son entreprise et de ses collaborateurs peut avantageusement s’exprimer à travers un certain nombre d’outils. Ce dernier (les 7S ou la carte culturelle par exemple) est intéressante en ce qu’il exprime, à travers les manques et les tonalités de l’expression de sa subjectivité.
6. Conclusion
Aujourd’hui, tout le monde connaît les trois grandes révolutions : La révolution Copernicienne qui a expulsé l’homme du centre de l’Univers, la révolution Darwinienne qui a fait de l’homme le produit de mutations aléatoires et d’ajustements successifs, un bricolage, en somme, la Révolution Freudienne, enfin, qui a décentré la conscience et questionné la liberté.
Les sciences humaines n’en finissent pas de décliner d’une manière ou d’une autre ces trois séismes. De la psychanalyse au structuralisme, de la sémiologie à la pragmatique, l’homme est désormais agit par des structures symboliques externes à sa conscience.
Qu’on le situe du coté des avatars d’un réservoir pulsionnel comme la psychanalyse ou dans l’autonomisation de processus cognitifs comme le cognitivisme, l’inconscient ne fait plus de doute pour personne.
Si les sciences humaines paraissent l’avoir définitivement intégré, les sciences du management n’en tirent sans doute pas les conséquences nécessaires au-delà de la réification dans les techniques de marketing.
Le rêve secret du manager est de pouvoir maîtriser l’intersubjectivité à travers une psychologie complètement instrumentalisée. Ce rêve qui prend appuie officiellement sur le désir d’une possible optimisation des ressources de l’entreprise, n’est autre que la version contemporaine du mythe Faustien d’une toute-puissance possible. Le patron, en position de maîtrise, assure le contrôle absolu de ses collaborateurs gérant conflits et souffrances qui constituent pour lui les scories inutiles de la grande machine à produire. Aveugle aux dégâts qu’il cause, il l’est tout autant aux dégâts qu’il se cause.
Le fantasme d’une position neutre, parfaitement objective est, bien sur, intenable. Elle l’est, d’abord, logiquement : en évacuant la subjectivité au profit d’une maîtrise rationnelle généralisée des comportements, on aboutit à un système de contrôle réciproque parfaitement figé. Plus fondamentalement pour le manager, la tentation d’évacuer le désir en introduisant un déterminisme absolu, ne pourrait conduire qu’à la surdétermination des rapports entre les hommes (refus de l’altérité) et interdire, ainsi, tout émergence du nouveau (ruinant bientôt tout développement du marché !).
Chaque jour, le manager est confronté à des problématiques psychologiques: démotivations, agressivité ou passivité, perversions, dépression, absentéisme, symptômes de souffrances inutiles qui gênent le fonctionnement collectif. Ces « anomalies » ne peuvent trouver sens que dans l’acceptation que l’homme qui produit est, aussi, un sujet désirant: dans « Les temps modernes », Charlot dérègle par sa poésie propre le bel ordonnancement taylorien. Puisque tous les acteurs sont partis prenantes et que les dysfonctionnements se construisent à partir de l’équilibre des interactions pathologiques, aucun ne peut prétendre se tenir en dehors du processus de clarification. Evidemment, il convient aussi de se demander ce qui se partage réellement dans cette collectivité qu’est l’entreprise, ce qui rapproche les hommes … ou ce qui les sépare (il faudra bien, un jour, évoquer le problème du sens).
A travers notre voyage dans les arts martiaux, nous avons tenté de mettre en évidence que l’efficacité véritable ne peut surgir que d’un processus de clarification permanente à l’intérieur d’un dispositif adapté. Ce dispositif s’appuie sur une relation duelle à travers laquelle va se révéler, au sens photographique du mot, les déterminismes inconscients.
C’est à travers la mise en évidence de ses comportements les plus profonds, de la compréhension de leurs enjeux et de leur acceptation que le manager pourra accéder à cette lucidité qui le fera accéder à une conscience plus globale, plus tournée vers les autres et vers l’environnement.
Le coaching est un outil majeur de cette révolution pour peu que le Coach accepte et soit capable de s’engager sans se perdre dans la relation.
Nous croyons avoir dégagé dans ce texte quelques pistes dans ce sens.
Nous sommes convaincus que la nécessité faisant loi, les managers, parce qu’ils exercent des responsabilités importantes et qu’ils ont à rendre compte à la collectivité, accepteront de prendre le chemin escarpé du vrai changement (c’est-à-dire du changement personnel) en abandonnant ces bouées de sauvetage en béton et autres alibis que sont les psychologies instrumentalisées et leur cortège d’outils.