On se souvient de l’ouvrage choc, « les bienveillantes » (1), qui décrit la vie d’un officier SS et la banalité parfaitement « managée » du mal qui dilue les responsabilités et met les interrogations à distance derrière le travail bien fait et la « nécessaire »performance de l’organisation.
Curieux titre, litote hellénique ironique qui substitue les Euménides aux Erinyes : il y va du masque de la haine, de l’évitement, du mépris. Beau travail de défense, retournement des processus primaires d’un inconscient qui travaille l’arrière scène et son affrontement shakespearien entre les ténèbres et la lumière.
Voici qui éclaire, si j’ose dire, d’un jour nouveau cette injonction, tarte à la crème des coachs : la bienveillance, la bienveillance, la bienveillance…. C’est qu’il convient de gommer les ténèbres, à commencer par les siennes propres qui ne manquent pourtant pas de faire retour, afin d’assurer, toujours et encore, le confort d’une complicité qui ne s’assume pas.
Car, la bienveillance est l’hypostase du « on », du bavardage, de l’inauthentique. La complicité active mais non assumée du déploiement du management planétaire (P.Legendre), forme molle et d’autant plus perverse du totalitarisme, qui gomme les différences au profit d’une « culture » mondialisée, qui dénie le tragique de la vie humaine : celui d’avoir à s’assumer comme « ex-sistence » .
A l’ouverture de la « veillance » (Jean Oury) (2) fondée sur l’exigence tragique d’avoir à se confronter, ontologiquement, au risque de la transpassibilité (H.Maldiney), cette dimension propre de l’homme qui le met en demeure d’assumer l’inattendu, l’impossible, la rencontre, le Visage de l’autre, le coach conformiste vient substituer la clôture irrévocable d’une morale sirupeuse, aveugle à ses passages à l’acte et aux impasses dans lesquelles il enferme ceux qu’il accompagne, les éloignant définitivement d’un possible effet de vérité (3).
Alors, à quand un coaching qui ne soit pas du semblant ? Peux être viendra t-il le temps où des managers exigeants, parce qu’il en va de leur propre vie, ouvriront les yeux et sauront prendre le risque de se voir tels qu’ils sont, dans leurs grandeurs et leurs faiblesses, car c’est seulement à partir de là qu’ils pourront se construire une vie à hauteur des responsabilités qu’ils assument.
(1) Jonathan Littell, Les bienveillantes, Gallimard, Paris, 2006
(2) Martine Deyres, « Le sous bois des insensés, une traversée avec Jean Oury », film, 2016 extrait ici: https://vimeo.com/190838629
(3) Michel Foucault, le courage de la vérité, Le Seuil, 2009
Petit poème faisant écho à ton article, que je souhaite adresser,en premier lieu, à mon propre égo.
Semblants
Semblant de rien, semblant de vivre, faux-semblant, vrai semblant,
il semblerait que le sujet soit inépuisable, c’est invraisemblable, et pourtant c’est vrai.
Sous ton habit de vrai tu caches un bouquet de malices que tu offres à tout bout de champ,
semblable à toi-même, tu te ravives de couleurs différentes, de nuances tout aussi différentes,
desquelles naissent des myriades de semblants, portant le nom d’indifférence.
Ne vois-tu donc pas ?
Tel un chien se mordant la queue, tu tournes en rond dans une tornade sans fin,
enveloppante et protectrice, car la vérité dérange, la vérité fait mal, la vérité insupporte, elle, est phallique.
Ainsi, au grès du temps, tu te forges une armure dans un métal étincelant de mensonges,
rouillé par le vice, t’éloignant chaque fois davantage de ta véritable nudité.
Dans ton habit reluisant, tu fais le moine et le beau temps,
t’abritant au passage sous des chênes chaque fois plus grands.
Le ciel se couvre déjà…la pluie pourrait te surprendre, mais que crains-tu ?
Ton habit rouille déjà et ton chêne éphémère ne peut rien contre cela.
Que penses-tu du succès des « Bienveillantes » ?
Norbert
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