Le regretté Jean Oury dans un entretien avec le documentariste Nicolas Philibert à propos du film « la moindre des choses », affirme que l’exigence première dans les métiers de relation est l’asepsie : Primum non nocere , d’abord ne pas nuire, nous dit le serment d’Hippocrate, ne pas polluer le champ de la relation, ne pas surajouter ses propres problémes aux difficultés de son client. Vaste question dont il fait d’ailleurs les prémisses de la psychiatrie institutionnelle.
Autrement dit la formation, la thérapie et la supervision constituent le trépied à partir duquel il devient possible de construire une pratique stable, saine, une pratique qui ne soit pas une imposture (je reviendrai bientôt sur l’imposture).
Aujourd’hui, on voit fleurir les offres de supervision. Curieux comme les trajectoires se raccourcissent : à peine formés les stagiaires deviennent formateurs, à peine installés les coachs deviennent superviseurs.
Pour recevoir moi-même des coachs déjà en supervision, je constate l’aveuglement dangereux de superviseurs centrés sur la partie émergée de l’iceberg, la méthode (et encore stéréotypée !) , et dans une méconnaissance radicale des enjeux subjectifs et intersubjectifs qui infiltrent la relation de coaching. Comment voulez-vous réaliser cette asepsie si nécessaire si le superviseur rajoute ses propres infections, en toute méconnaissance, d’ailleurs, à celles de son client.
Aussi, je crois utile de rappeler ici ce que doit être une pratique de supervision.
Encore une fois ceux qui ont poussé le plus loin la réflexion sur ce sujet sont les psychanalystes.
J’emprunterai, donc, au 4eme de groupe, peut être l’ association d’analystes Lacaniens la plus sérieuse (au sens de Kierkegaard) et la plus féconde, son approche du « contrôle » (qui est le nom de la supervision dans ce métier).
Je parlerai, donc, de coaching 4eme par analogie avec l’analyse 4eme qui est le nom (en soi cela ouvre déjà des pistes) qu’ils donnent à la supervision.
Qu’est ce, donc, que le coaching 4eme : c’est ce que devait être toute supervision digne de ce nom, un supervision qui interroge quatre dimensions :
– Le processus de coaching que lui apporte le coach
– Le contre-transfert du coach sur le coaché
– Le transfert du coach sur le superviseur
– « last but not least », le transfert du coach sur la théorie qu’il utilise et les personnes qui l’ont formé.
On voit que le processus de coaching n’est, et ne peut être, interrogé qu’en relation avec toutes les autres dimensions
Le contre transfert du coach :
Comment le coach réagit-il aux projections et aux mécanismes de défense de son client. Quels ressorts inconscients, qui permettent de comprendre les distorsions du processus et les points aveugles, sont mobilisés chez le coach. Autrement dit et plus simplement en quoi le coach est concerné, au plus profond de lui-même, à travers son histoire personnelle, par ce que lui apporte son client.
Le transfert du coach sur le superviseur :
Ce doit être l’outil fondamental d’élucidation pour le superviseur : qu’est ce qui se répète, ici et maintenant, avec le superviseur, de la problématique que lui apporte le coach. Comment cela se joue t-il, dans cette relation spécifique et précisément avec ce superviseur-là, cette personnalité-là.
Le rapport du coach à la théorie et à ceux qui l’ont formé :
Les choix théoriques et méthodologiques ne sont jamais anodins. Ils sont effectués parfois pour des raisons plus ou moins avouables et toujours en relation avec ce que le coach veut voir du réel et ce qu’il ne veut pas voir. Le lien qu’un coach entretient avec ses théories, ses méthodes et ses outils est hautement infiltré par ses peurs, ses évitements, ses fascinations, ses désirs inconscients.
Autrement dit, la théorie est la paire de lunette du coach et, heureusement ou malheureusement, il n’existe pas de lunettes universelles. Dans ces conditions s’accrocher désespérément à sa paire de lunette propre est un acte de réassurance qui mérite d’être profondément questionné puisqu’au-delà de la focale spécifique, tout le reste devient flou par construction. Méconnaitre qu’il existe d’autres lunettes, c’est amputer la richesse insaturable de la réalité et condamner le coaché à ingurgiter de l’eau tiède en lui faisant croire que c’est du Romanée Conti (ce qui est trés confortable et pour le coach et pour le coaché !).
Le processus de coaching :
Si l’on fait l’hypothèse de l’inconscient, et toute ma pratique me montre l’extraordinaire richesse de cette hypothèse, alors on peut comprendre que les aveuglements, les points durs d’un coaching s’appuient toujours sur les points aveugles du coach et n’ont le plus souvent pas grand-chose à voir avec le processus méthodologique. Ne serait-ce parce qu’un bon artisan façonne son outils à sa main et plus la méthode est pure et moins elle a de chance d’être adaptée à la situation.
Un bon superviseur ne travaillera pas sur la manière dont un coach applique une méthode mais plutôt sur la manière dont il s’en empare ou non, dont il la façonne ou non, en fonction du contexte et de la compréhension profonde des enjeux. Il interrogera sa pertinence par rapport à la conduite général du processus en fonction des difficultés apportées par le coaché et des mécanismes de résistance mobilisés.
J’ai dessiné à grand trait les dimensions d’une supervision digne de ce nom. Je ne suis pas sûr que beaucoup des superviseurs auto proclamés soient à même de les mobiliser d’une manière pertinente et non destructrice.
Il est sur aussi que le coach qui va se faire superviser doit faire preuve de détermination et de courage car il va être remis en question, comme d’ailleurs il remet en question son coaché, et ce n’est jamais confortable même si c’est toujours passionnant.
Dans nos métiers, l’exigence personnelle, le refus du superficiel, de la montée du spectacle et de de l’insignifiance (comme le dénonçait déjà Cornelius Castoriadis, qui fut un membre éminent du 4eme groupe) devrait être le moteur du développement professionnel, lequel développement professionnel s’étaye sur un développement personnel consistant!
Lucien Lemaire