Je viens d’entendre résonner cette phrase de Nietzsche par la bouche de Philippe Avron. Phrase que l’on croit saisir d’emblée mais qui chemine, rebondit tour à tour énigmatique et lumineuse. D’échos en échos, elle appelle en moi ses propres harmoniques pour peu que je renonce à en faire un slogan.
Souvent en supervision, je suis confronté à des coachs qui se laissent piéger par des coachés habiles dans une stratégie de langage circulaire dont il ne sort que des généralités générales. Certes, un coach expérimenté dénoncera le jeu du coaché par un moyen de méta communication quelconque à partir de la situation qui s’installe ici et maintenant.
Mais la difficulté est souvent complexe: résonances personnelles avec telle ou telle partie de la personnalité du coaché, de son histoire, croyance dans les mantras que l’on enseigne dans les écoles de coachs, stratégies de questionnements et autres technique, VAKOG, synchronisations, typologies diverses… qui prétendant faciliter la communication, cette perversion de la relation, en annule de fait toute possibilité.
L’immense difficulté des coachs est d’accepter le chaos. Leur chaos, et celui du coaché.
Ce qui caractérise le chaos est à la fois le sans fond et le sans direction. Autrement dit pour retrouver du sens, il faut accepter l’angoisse du sans fond, non seulement l’angoisse de ne pas savoir, mais l’angoisse d’accepter qu’aucun fond ne fera jamais fond, qu’il est toujours provisoire et à questionner. Que mes “solutions” ne sont jamais des solutions, tout au plus un étayage provisoire, fragile qu’il faut savoir dé-truire avant qu’il vous enferme dans une certitude mortifère qui tue dans l’oeuf le désir.
Autrement dit, dans un processus de coaching digne de ce nom,c’est à dire qui n’est pas pas un coaching de complaisance, un coaching qui doit faire face à des enjeux importants, il est normal et sain que les boussoles s’affolent, que le sens se dérobe, que l’incertitude s’installe avec sa traînée d’angoisse: c’est le prix à payer pour qu’émerge l’étoile, ce sens spontané, radicalement irréductible à toute rationalisation de la situation mais qui offre au monde du coaché une lumière nouvelle, une direction inattendue.
Dans la mythologie, Chaos donne naissance à Gaia, Tartare et…Eros: trois directions de sens qui représentent, pour moi, chacun un destin possible pour cet évènement qui est la mise en abîme: Gaia, le retour à la situation précédente, au sol d’avant qu’il ne se dérobe,annulant toute créativité, situation qui se fige dans la boucle vide de la répétition, Tartare, le vertige infernale de la folie, l’enfer, mais, aussi, pour celui qui a affronté l’insondable , Eros, le désir pur qui brille comme une nouvelle naissance, une renaissance. Le coach devient un “passeur”: A ce moment là (c’est à dire pas tout le temps!) il ne donne pas de direction, il n’a pas de stratégie, il est pur présence (c’est à dire “près de” et “prêt à”)..il doit juste veiller à la sécurité du voyage.
De mon expérience de supervision, il ressort que beaucoup de coach en restent, par peur de l’inconnu, à l’écume des choses, déroulent des stratégies vides qui ne produisent que des banalités…ce qui à un certain niveau peut rassurer tout le monde mais dévitalise le métiers et en fait un jeu mondain (oui, quoi, je suis coaaaach!…et moi, j’ai un coaaach, il est super!).Le superviseur, la supervision, est là pour que le coach fasse lui même l’expérience de la mise en abîme, car on ne peut accompagner quelqu’un au delà de là où l’on est allé soi même, l’expérience d’accepter la béance de l’ouvert, d’être là, simplement là disponible sans intention, sans enjeu, sans outils, sans filtre.
Alors bien sur, l’acceptation du chaos se prépare, il y faut le temps juste, le rythme. Là aussi la supervision permet l’expérience de cette temporalité singulière, cette compréhension profonde qui permet de savoir quand il faut installer le grand silence.
Pourquoi ne pas finir par une citation de Philippe Avron dans « je suis un saumon »:
« Savoir où l’on est, jamais où l’on va »