Le péché originel ou la naissance du capitalisme

Et si le péché originel nous racontait le mythe fondateur du capitalisme: une anthropologie de l’appropriation?

c’est ce que nous suggère Lanza del Vasto avec cette histoire d’appropriation du fruit!

Voici quelques années, j’avais participé à un stage de clown dans un centre qui louait des salles de travail à Saint Antoine L’abbaye.

Il se trouve que ce centre appartient à la communauté de l » Arche, communauté catholique fondée par Lanza Del Vasto à partir de l’enseignement de Gandhi.

Pendant une pause, je m’étais « égaré « dans la minuscule, chapelle où je restais paisible pour quelques minutes de méditation.

Je laissai mon regard errer sur ce décors et je m’aperçus alors que sur l’autel, les trois livres sacrés, la thora, les évangiles, le coran étaient disposés ensemble.

Drôle d’endroit me dis je! Même si j’avais déjà vu quelque chose de similaire en inde dans un ashram Shivananda où la salle de pratique était ornée des portraits de tous les grands sages y compris Jésus et Mahomet.

L’heure du déjeuner venue, nous nous assîmes à notre table pendant que deux ou trois d’entre nous allaient prêter la main au service comme il est de coutume ici.

Le déjeuner avait à peine commencé qu’une voix entama un chant de remerciements qui fut repris à travers la salle par qui le souhaitait comme un dialogue joyeuse entre les tables.

Le contraste fut saisissant avec les lugubres bénédicités que j’avais connu pendant les 12 années de scolarité chez les bons pères bien plus préoccupés de savoir ce que je faisais avec les mains sous la table et où j’allais avec mon camarade de classe.

Ici, c’était la joie d’être ensemble et de partager qui était célébrée.
Une antidote à l’appropriation privative, non?

Le christ de la Cène plutôt que celui de la croix.

Valeurs vous avez dit valeurs?

Voilà ce qu’en dit Lanza Del Vasto dans une conférence sur le thème : science et non violence

«  ….Science et non-violence, donc.

 Mais qu’est-ce que la science ? C’est ce que nous devons examiner avec beaucoup d’attention. Naturellement, la Vérité est Dieu et la recherche de la Vérité est le service de Dieu.

L’intelligence et la connaissance, la conscience et la sagesse sont les grands privilèges de l’homme, la seule raison d’être homme. La Bible dit, la loi de Dieu dit : « Créons un homme à notre image et à notre ressemblance. », et une deuxième fois : « Quand Il a créé l’homme à son image et à sa ressemblance, et une troisième : « Il l’a créé homme et femme.  » Ainsi cela est dit trois fois. Mais cela n’est pas dit d’aucune autre créature. Pour créer la lumière, Il a eu seulement à dire : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Cela semble indiquer la triple nature de l’homme. Non seulement, il appartient à une espèce différente, mais aussi à un autre royaume, celui de l’avènement de l’homme. La raison en est l’image et la ressemblance. L’image, bien sûr, toutes les créatures la porte en eux. L’univers entier chante la louange de Dieu. C’est l’image de Dieu dans sa beauté, mais ce n’est pas la ressemblance. Toutes les créatures reçoivent l’image de Dieu, mais seul l’homme peut la renvoyer, peut renvoyer le rayon de la lumière divine. Reçois la lumière, reçois l’image et montre la ressemblance, montre-la avec admiration, avec adoration et avec amour. Et c’est la seule vérité.

C’est la raison d’être de l’homme. Il est dit que quand l’homme a été créé, Dieu a mis autour de lui un magnifique jardin, une place de joie. Vous savez ce qu’il est arrivé à nos ancêtres, qu’ils se soient appelés  nAdam ou Manou (le premier homme pour les hindous). Vous connaissez ce que les chrétiens appellent péché originel. Vous l’appelez ignorance (avidya). Dois-je vous raconter l’histoire ? Vous savez déjà tout à propos d’Adam et du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Quel était ce péché que nous appelons péché originel ? Bien sûr, la clé de ce mystère est le nom de l’arbre, Et bien sûr, c’est un arbre symbolique. En dehors de ce symbole, l’histoire n’a pas de sens. C’est donc l’arbre de la connaissance, la connaissance du bien et du mal. Adam pouvait manger de tous les fruits. Tous étaient donnés, même sans travail, sans douleur, en abondance. Mais il ne devait pas toucher celui-là. Pourquoi ? Et pourquoi a-t-il pris spécialement celui-là ? Quel est cet arbre ? Et quel mal a-t-il fait ? Quel est donc ce mal ? Le mal d’avoir mangé du fruit de l’arbre du bien et du mal. Vous voyez ma phrase commence par le mal et finit par le mal. C’est comme une formule algébrique. Il y a une égalité mélangée avec toutes sortes d’opérations. Essayons de mettre au clair ces opérations. Qu’est-ce que manger ? Cela veut dire,tuer, saisir, s’emparer, mâcher et détruire, s’approprier et jouir de la destruction de ce que vous mangez.

Mangez la connaissance ? C’est une opinion commune que c’est un péché. L’homme a-t-il acquis la connaissance ? Non, c’est une mauvaise lecture des Ecritures. Mais nous avions une connaissance sociale.

L’homme a été créé avec la connaissance et avec la conscience. Nous voyons que dans le Paradis, Adam parlait familièrement avec Dieu, voyait Dieu, et quand il parlait, Dieu lui répondait. Mais Dieu ne parlait pas avec les pierres, ni avec les lions, non parce qu’ils n’étaient pas végétariens et non-violents, mais parce qu’ils ne pouvaient répondre !

Il ne parlait pas avec eux parce qu’ils ne comprenaient pas. L’homme le pouvait, il avait la connaissance. Et qu’a-t-il fait ? Il a volé, il a volé le cadeau.

Savez-vous ce que signifie voler un cadeau ? Je vous donne quelque chose avec tout mon coeur. Vous me l’arrachez, vous me regardez, et vous dites : « Bien. Maintenant, c’est à moi Mais je vous connais, et vous dites, c’est le mien.

 L’intelligence, c’est la nôtre, nous l’avons inventée ! Mon intelligence, je l’ai inventée ! Si c’est la mienne, je peux en profiter. Non. Le fruit, que signifie le fruit ? Si vous n’aimez pas les spéculations symboliques, allez demander à votre banquier ce que signifie le fruit. Cela veut dire jouissance et profit.

Maintenant, l’explication est là. Le péché de l’homme a été de détourner l’intelligence de la Vérité vers lefruit. Plutôt que d’utiliser votre intelligence pour rester en contact avec Dieu, pour refléter la sagesse de Dieu, la volonté de Dieu, la beauté de Dieu, vous utilisez, nous utilisons, Adam a utilisé son intelligence pour obtenir le fruit et la jouissance.

Vous me suivez ? Maintenant, si la police vient chez moi et m’arrête, je vais protester et dire : « Mais pourquoi donc ? De quoi suis-je accusé ? Je n’ai rien fait. » Non, vous n’avez rien fait, mais votre ancêtre était un grand criminel. Vous devez expier pour lui. Je serais indigné. Et vous tous seriez indignés de cette sorte de justice. Quelle justice est-ce donc ?

Maintenant, Adam est mon ancêtre, mais c’est très éloigné. Pourquoi dois-je supporter les conséquences du seul crime que, j’en suis sûr, je n’ai pas commis ? En êtes-vous si sûr ? Mais qui est Adam ?

 Mais chers amis, Adam, c’est nous, chacun de nous. Et le péché d’Adam est celui que nous faisons tous ; que nous faisons et faisons encore, et continuons à faire chaque jour depuis l’origine. Presque toutes les intentions derrière notre intelligence vont à penser : quel profit j’obtiendrai de ceci ? Si je fais ça, quel bien cela m’apportera-t-il ? Quel profit ? C’est suffisant, et c’est le péché du monde.

Non seulement mon péché personnel, car c’est aussi le vôtre, mais c’est le péché de tout le monde, et donc bien sûr, aussi le mien. C’est un péché différent des autres, qui n’a rien à voir avec la morale. C’est un péché métaphysique, non un péché moral.

Faites du profit, dirigez une affaire, gagnez de l’argent, obtenez du pouvoir. Ceci est moral, et vous pouvez faire cela très honnêtement, pour votre bien et pour le bien des autres. Rien de mal là-dedans, c’est permis.

Et les bons et les mauvais sont également dans le monde, dans le péché originel, et le payent car c’est un tout.

Je dois expliquer ce péché, montrer quelle est la déformation de l’intelligence comme péché fondamental et quel est le chemin pour en sortir. Maintenant, si nous considérons la science, la science comme la science physique, comme les Occidentaux l’ont développée, et qui est aussi venue ici.

La science, qui n’est pas la connaissance (vidya), qui n’est pas la sagesse, mais qui est l’observation de la nature, et l’utilisation que vous en faites. Si vous observez cela, que notez-vous ? Comment décririons-nous cette science ?

C’est le plus formidable renouvellement du péché originel !

Tout le génie que Dieu a donné à l’homme est dirigé vers le profit et le fruit. Avec toute notre intelligence, nous nous efforçons de devenir riches, de passer devant notre voisin, de prendre le pouvoir, d’en profiter.

Voilà ce qu’en Occident nous appelons science.

 Et la punition ?

Pas de punition, Dieu n’envoie jamais aucune punition. Seulement de bonnes choses viennent du Tout-Puissant, du bon et aimant Seigneur. Et cela vient sur les bons et sur les méchants. La pluie tombe pour tout le monde comme le pardon. Et les méchants ont la grâce de la force de vie et de l’intelligence.

 Pas de punition, mais la simple conséquence du péché est la mort ; la mort, qui est séparation. Nous sommes séparés de Dieu, car la science ne conduit pas à Dieu. Par la séparation de la science, nous jouissons du fruit,

Et vous voyez le fruit de cet arbre.

Un bon arbre ne donne pas de mauvais fruits, un bon arbre ne donne que de bons fruits.

Quel est le fruit de la science moderne et de la technologie ?

 Le plus beau fruit ? Le plus significatif ?

La bombe atomique ! La mort pour tout le monde ! Pour ceux qui l’ont inventée, pour ceux qui seront forcés de l’utiliser, pour ceux qui l’ont préparée pour leurs voisins, et pour les voisins qui l’ont préparée pour ceux-là.

Ils ne sont ni bons ni méchants, ni fous ni voleurs. Ils sont simplement engagés dans le péché originel comme nous le sommes. Et nous sommes tous complices tant que nous n’avons pas trouvé le chemin de sortie. Donc, demain, je parlerai du chemin de sortie.

Merci, chers amis, pour votre attention »

Lanza del Vasto

Lucien Lemaire

(1) « découverte de la non-violence », Lanza Del Vasto

(2) Lanza Del Vasto « Issu d’une famille aristocratique du sud de l’Italie, le jeune homme étudie à Paris, puis à Florence et à Pise où il soutient en 1928 une thèse de doctorat en philosophie. Porté par un immense appétit intellectuel, mais aussi par un intense goût de vivre, il hésite entre une carrière universitaire et une vie d’artiste. Il fréquente les écrivains du temps, noue une amitié puissante avec Luc Dietrich, voyage en Italie, en Allemagne et en Grèce…Mais bientôt le désir de « regarder le monde dans les yeux » le lance vers des horizons plus lointains. En Inde, qu’il traverse de Ceylan jusqu’à l’Himalaya, le poète philosophe se fait vagabond et pèlerin. Au centre de ce voyage, la rencontre décisive avec Gandhi, qui lui donne un nouveau nom : Shantidas, serviteur de paix. Toute sa vie, désormais, est marquée par la non-violence, non comme un simple idéal moral, mais comme un levier de transformation spirituelle et sociale.De retour en France, Lanza publie en 1943 le Pèlerinage aux sources, qui relate son voyage et le rend célèbre. Il a le grand projet de fonder un « ordre gandhien d’Occident » d’inspiration chrétienne, ouvert à tout homme de bonne volonté. Mais les années de guerre l’obligent à patienter. En 1948, il fonde la Communauté de l’Arche, à laquelle il se dévouera pendant trente-trois ans, délivrant dans le monde entier un message de sagesse et de paix. Il meurt en Espagne, le 5 janvier 1981, dans sa quatre-vingtième année
Chaque étape de ce parcours est étonnamment riche et mérite d’être regardée de près. Poète, pèlerin, patriarche, prophète, Lanza del Vasto semble avoir vécu plusieurs vies en une ! » » (site internet)

(3) Essence de la technique: il ne s’agit pas là de l’électricité ou des antibiotiques mais d’une conception du monde qui considère notre environnement sous le seul signe d’un ensemble de ressources disponibles exploitables à volonté par un homme dont le seul objectif est le profit (au sens large). Dans ce sens, elle nous coupe de la réalité profonde de l’Etre humain et installe une chosification mortifère des relations. D’une certaine manière et en étant réducteur on peut le rapprocher du fétichisme de la marchandise chez Marx.

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