La voie du Bouddha est appelée la voie du milieu. Apres une jeunesse privilégiée et protégée, dans l’illusion d’un plaisir sans fin, d’une promesse de bonheur éternel et absolu possible, rapidement démentis par la réalité de la la vie, après une période de lourdes et sévères mortifications, qui l’ont conduit au bord de la mort, le cheminement de Siddhârta l’a amené à chercher la fin de la souffrance (…et à trouver le discernement) à travers une attention juste aux phénomènes d’aliénation nés des illusions dans lesquels le hommes se complaisent.
Ni divertissement, ni mortification: la voie du milieu dans une exigence de vérité. Simplement voir ce qui est.
La voie du juste milieu est par définition, abrupte!
Voici, donc, un projet exigeant engageant tout l’être en responsabilité: tout sauf cette eau tiède véhiculée par les représentations contemporaines du juste milieu, raillées comme excitation minimum, quiétisme indécrottable.
Mon propos n’est pas de parler, ici, du Bouddhisme simplement de m’interroger sur ce discrédit du juste milieu dans les idéologies contemporaines.
« Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. »
(René Char)
Car qu’est-ce que le juste milieu ?

Le juste milieu est l’instant de l’action juste : avant le phénomène ne se montre pas dans son intensité maximum, après c’est déjà le déclin. La métaphore graphique la plus parlante est la courbe en cloche de la loi normale : il y a un instant juste pour agir, le Kairos : chercher le juste milieu c’est chercher l’efficacité maximum dans le déploiement de l’agir, ce qui implique une compréhension profonde de la situation
La voie du milieu s’appuie sur une perception aigue et instantanée des phénomènes. Celui qui mène sa vie de cette manière déploie une efficacité redoutable On comprend que cette vertu, appelée par les romains « médiocrité », soit précieuse pour la conduite des affaires publiques.
Alors comment expliquer cette dévalorisation contemporaine et du juste milieu et de la médiocrité qui est la capacité d’agir au juste milieu ?
Pour comprendre, il faut accepter la dimension « historiale » du dévoiement de la Parole en bavardage : il s’agit de l’histoire du rapport de l’homme au sens
Il nous faut ici reprendre l’histoire de la vérité du temps grec des commencements, celle de l’étonnement de l’Alétheia, jusqu’au Trumpitudes des faits alternatifs. Cette histoire passe par plusieurs étapes qui marquent aussi l’histoire de l’être : après l’ effet de saisissement du dévoilement de la vérité chez les grecs, il y eut la période de la vérité comme adéquation de la chose à sa représentation, puis avec Descartes et le doute méthodologique, la vérité devient certitude dont on oublie, aujourd’hui, qu’elle ne trouvait, chez lui, son ultime fondement que dans l’absolu de Dieu.
La mort de Dieu annoncée par Nietzsche a fait trembler tout l’édifice du sens. Avec la mort de ce Dieu là, cède le dernier rempart, fut il purement imaginaire et aliénant, d’une exigence d’Etre, morte au profit de l’opinion, du bavardage, de l’illusion narcissique.
L’homme est nu. La représentation s’autonomise, elle a tué la chose et vit sa vie de représentation arbitraire dans une banalisation mortifère de la parole.
Tout se vaut désormais : c’est l’ultime étape, celle du nihilisme négatif qui trouve son apogée dans les réseaux sociaux et la surenchère de la désinformation généralisée : la société du spectacle fondée sur l’hypostase de la marchandise comme modèle des rapports humains, aliénation aux images, cette captation spéculaire dont nous parle Lacan.
Le nihilisme est en marche : la Parole est devenue « éléments de langage » à gérer par les spécialistes de la communication (sic). Tout se vaut: l’opinion vaut comme fait, le mensonge comme fait alternatif. La vérité est orpheline!
Voici venu le temps des derniers hommes, celui de l’oubli de l’oubli de l’Etre.
Sans doute nous ne percevons pas encore notre détresse insondable, celle sans laquelle, nous rappellent les alcooliques anonymes, aucune renaissance n’est possible.
Car « seul un Dieu peut encore nous sauver », non pas ce Dieu que Nietzsche a tué (il a bien fait !), celui d’un Fillon, au hasard, mais un dieu comme mystère qui fonde l’humanité toujours en question de l’homme en sa responsabilité.
Seul la prise de conscience de cette détresse sans nom (c’est pas acquis !) peut faire émerger une promesse, un espoir, peut-être, de cette trans-valuation, ce nihilisme positif, annoncé par Nietzsche : la renaissance par des valeurs nouvelles, je préfère dire par un rapport précieux et passionné à l’Etre, qui nous remette face à notre responsabilité et à notre dignité singulière d’Homme.
Si la voie du milieu ne peut plus être entendue, c’est que désormais aucune Parole ne peut plus l’être, noyée dans le bruit du bavardage généralisé.
Il nous faut réapprendre à Entendre ce qui nous interpelle.