Statut du cheval en equicoaching : illusions, déni et vertus

« Un signe, voilà que nous sommes privés de sens

Privé de douleur, et nous avons presque

Perdu la parole à l’étranger

Et soudain, elle vient, elle fond sur nous

L’Etangére,

L’Eveilleuse,

La voix qui forme les hommes »

Holderlin


Les merveilles de la grotte Chauvet

« si un lion pouvait parler, nous ne pourrions le comprendre » nous dit Wittgenstein .

Si Holderlin nous appelle à entendre la voix au plus profond, celle que nous n’entendons plus dans le langage même, Wittgenstein, lui, nous met en garde contre les pièges de l’illusion amenés par son utilisation peu rigoureuse .

Ce dernier nous invite à la lucidité en nous faisant remarquer, et cela sera repris par tout le mouvement pragmatiste moderne, que c’est l’usage collectif du langage qui permet la compréhension mutuelle. Pour le dire plus précisément, cet usage commun passe par ce que Wittgenstein appelle des jeux de langage (Glock, 2003) , formes spécifiques partagés par des communautés humaines insérés dans une même forme de vie. Il entend par forme de vie aussi bien l’organisation biologique, que l’insertion dans un environnement, un milieu sociologique et culturel donné.

Pour qu’un individu puisse nous dire quelque chose, il faut que nous partagions avec lui une même forme de vie. Que l’on songe à la vision du cheval, à l’écholocation du dauphin, à l’olfaction du chien aux différentes manières avec laquelle chaque animal s’insère et s’adapte en permanence à son environnement propre en fonction de ses instincts propres, et on conviendra que nous ne pouvons avoir accès à leur monde intérieur. Autrement dit ce qu’un cheval sent (ses sensations) nous ne pouvons en avoir connaissance et même s’il parlait, comme le lion de la citation, nous ne pourrions le comprendre.

 Ce que nous observons, ce sont des comportements …

Et notre tendance à leur donner du sens ne nous autorise pas à en inférer un quelconque état interne : ce qu’il ressent, ce qu’il vit reste la plupart du temps largement spéculatif.

Il faudrait reprendre aussi ici toute l’argumentation de Wittgenstein qui montre qu’il ne saurait exister de langage « privé » (un langage élaboré dans son for intérieur pour rendre compte de ses propres sensations). Prenons l’exemple d’un homme isolé de toute communauté humaine, élevé par les loups pour évoquer un mythe, donc, éloigné de toute pratique linguistique, qui s’invente son propre langage pour exprimer à un autre surgi de nulle part,  une sensation, la douleur par exemple. Il ne le pourrait point car pour être compris de l’autre il faut deux conditions : faire, d’une part, l’hypothèse du partage d’une même forme de vie (condition nécessaire pour accepter que l’autre puisse ressentir la même chose que moi car ici le representationnisme s’effondre, impossible de nommer la chose), et, d’autre part, celle  de signes infralinguistiques  communs  (qui connotent la douleur) qui fassent consensus.

Il n’est d’ailleurs nul besoin d’avoir recours aux systèmes vivants pour montrer l’impossibilité d’inférer l’état d’un système à partir de son comportement. Donnons-nous un objet mathématique que l’on appelle automate à états fini. Il s’agit d’un système qui admet des entrées (en nombres finis), les transforme en données de sortie grâce à une fonction dite de transfert plus ou moins complexe, en prenant en compte les états internes successifs de la machine (en nombres finis).

Supposons que cet objet constitue une boite noire dont on ne voit que les entrées et les sorties, alors, il est impossible, par simple observation de ceux-ci de connaitre l’état interne du système…et pourtant l’objet est parfaitement déterministe !

Ainsi le cheval ne peut rien nous dire de son expérience intérieure. Il ne risque donc pas d’être le miroir d’émotions (les nôtres) qui n’ont aucune signification (le mot est mal choisi) pour lui, sauf à réduire le miroir à la simple réaction comportementale de l’animal à tout stimulus de son environnement mais alors tout devient miroir de tout et lycée de Versailles,

Anthropologiser l’animal n’est pas rendre hommage à sa singularité, à sa richesse et à sa beauté propre et c’est l’enfermer dans des catégories et des rapports pervertis qui vont nuire à son destin qui est de s’épanouir dans son monde propre.

Alors l’equicoaching, ça marche ?

Ainsi, donc, ce que nous dit le cheval nous ne pouvons le comprendre….

Mais, a contrario, c’est le sens projeté sur la situation par l’homme qui devient intéressante Car il est marqué par tous les mécanismes de défense, projection, identification, rationalisation, dénégation, déni …qui sont scotomisés dans l’hypothèse du  cheval coach dont il convient simplement d’interpréter l’oracle. Démasquer les défenses, il faut du tact!, est un travail indispensable de prise de conscience.

J’ai extrait d’un travail cette courte vignette, juste pour donner le gout!, qui montre comment s’incarne le leurre qui rend difficile…mais aussi possible le travail sur les défenses !

«…… Lors d’une séance ultérieure, ***** nous fait part de son désarroi. Son cheval qui devine instantanément ses pensées, la guérit de ses souffrances, l’apaise dans ses malheurs…refuse de venir quand elle l’appelle. Elle reste interdite et ne peut faire autrement que de vivre cette « liberté » de l’animal comme une interprétation de son propre état mental. Ce n’est pas l’animal qui vit sa vie d’animal, c’est un message qui lui est adressé comme retour de ses émotions négatives….un mythe qui vacille, première blessure narcissique ! Un début bien timide de compréhension va commencer à la faire douter (juste un peu:) de la toute-puissance du cheval, ce thérapeute naturel et bienveillant, s’effrite, ouvrant une brèche, encore légère, à la crise à venir qui permettra un travail plus profond. » (Lemaire, 2016)

Je fais l’hypothèse, mais j’y reviendrai sans doute un jour, que la pensée magique du cheval « réparateur tout puissant », n’est pas seulement la marque d’un niveau de compréhension dramatiquement insuffisant mais aussi assume une fonction de masquage idéologique du même ordre que l’illusion groupale (Anzieu, 1975), leurre dans laquelle tombe systématiquement, et avec volupté, tous les dispositifs dits d’intelligence collective.

Passer d’un dispositif où le cheval, thérapeute magique, oracle tout puissant dit quelque chose qu’il faut entendre, à une situation où l’homme devient responsable du sens qu’il projette, permet un travail de compréhension et d’élaboration puissant.

C’est ce dispositif triangulaire-là qui intègre le coaché, le coach et le cheval (et pas seulement le coaché et le cheval) qui permet de réélaborer le sens que le coaché donne à cette situation en essayant, dans l’innocence du jeu (Abram, 2001) d’autres comportements qui feront, peut être, sens.

Car il dessine à la fois la scène transférentielle et l’’espace potentiel[1] (Abram, 2001), l’aire de jeu, qui autorise la régression à la dépendance (nécessaire pour le plein déploiement du jeu) et la reprise d’un travail du sens dans le décalage ainsi ouvert.

Alors, oui, l’equicoaching c’est sérieux …si on le prend au sérieux..c’est à dire si l’on n’en fait pas un dispositif au service du narcissisme (celui du coach tout autant que celui du coaché)

Lucien Lemaire

Bibliographie:

Abram, J. (2001). Le langage de Winnicott. Paris: Popesco.

Anzieu D. (1975). L’illusion groupale, in Le groupe et l’inconscient, Paris, Dunod

Glock HJ. (2003),Dictionnaire Wittgenstein, Paris, NRF, Gallimard

Lemaire L (2016),  Positionnement managérial et détresse originaire : apport du dispositif d’hippocoaching, communication congrés IPM EDHEC

Lemaire L (2015), hippocoaching, le cheval coach, EMS

ANNEXE:proposition d’ébauche d’une compréhension générale du dispositif d’equicoaching (pour ceux qui veulent approfondir voir (Lemaire, 2015) et (Lemaire, 2016)

Un constat: derrière les difficultés sérieuses de positionnement managérial, on découvre parfois une fragilité identitaire primitive. Ces fragilités prennent racine dans l’histoire archaïque du sujet, sont amplifiés par la disparition programmée des systèmes collectifs de solidarité et d’étayages, et signent des manques précoces où les objets primaires se sont dérobés ou ont failli.


Penser le dispositif d’equicoaching, c’est rendre compte, dans le champ d’une clinique d’une expérience singulière : celle du coaching assisté par le cheval.

Un tel dispositif, générateur d’inattendu, impose une confrontation à l’altérité étrange et radicale de l’animal, qu’il ne faut surtout pas rabattre par l’anthropomorphisme, mobilisant puissamment l’inconscient.

Le dispositif d’equicoaching, parce qu’il engage le corps dans des situations inattendues, constitue un révélateur intéressant de ces traumatismes archaïques qui précipitent le sujet dans une «angoisse sans nom ».

Les formes de défenses primitives, clivage, déni, idéalisation trouvent à s’actualiser dans les expériences proposées.

Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas de thérapie (ça pourrait aussi l’être)!, mais de travail sur les sociopathies de l’entreprise. En effet, la survalorisation de la compétition, de l’ambition démesurée, des valeurs incantatoires, les jeux de masques et la complaisance, favorisent la sélection de certaines personnalités type états limites (et on peut bien les appeler par toutes les lettres de l’alphabet!) avec leurs cortèges d’inhibitions, de passage à l’acte, d’intolérance à la frustration de survalorisation narcissique, d’addictions diverses ….voir de normopathies (eh! oui, trop normal, c’est pas normal!).

Mais le dispositif favorise aussi la reprise de l’individuation à travers la reprise des processus de symbolisation primaire et secondaire (comment on passe de la sensation au verbe!). L’espace potentiel du dispositif devient, fugitivement, dans la régression à la dépendance, l’espace d’un jeu rythmique signifiant : un espace transitionnel au sens de Winnicott.

Il autorise l’épreuve, qui est la seule forme de connaissance réflexive possible, et permet de reprendre, à neuf, dans le champ du langage, l’expérience traumatisante dans afin de la réintroduire dans l’histoire du sujet.

[1] La notion d’espace est sans doute pratique, mais elle est fallacieuse et « leurrante », car il s’agit d’un « espace non spatial », qui n’est pas délimité par un périmètre :  « Cet espace ne consiste que dans un pouvoir-être au monde dans cet espace » (Maldiney))

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