Comités d’Ethique (contradiction déjà!), de déontologie, valeurs morales (sic) fleurissent et tentent de nous dire comment nous devons nous conduire….Et pourtant, que d’intentions douteuses, de passions tristes, d’ambitions masquées, de ressentiments, de haine en quelque sorte se cachent derrière ces curieuses attentions dont l’histoire nous montre à chaque instant la redoutable inanité sinon la toxicité. L’enjeu profond en est le refus de prendre à bras le corps, dans sa propre vie, la dimension tragiquement ouverte de la vie (ou plutôt de l’existence), et la démission, consentante et intéressée, dans la mise en scène d’intérêts particuliers, intérêts personnels, intérêts de classe, intérêts catégoriels qui avancent masqués sous les oripeaux de la bienséance: ici, on peut appeler Nietzche au secours!
Au fond de tout cela, il y va de notre conception de l’homme : ou bien chose parmi les chose, défini par ses attributs (animal rationale, type psychologique, item du DSM4…) ou bien pure possibilité et toujours au delà de ce que je peux en dire.
L’Ethique est, d’abord, ma manière singulière d’habiter le monde et, dans le monde, il y a les autres, « l’être avec » écrit Heidegger, et de l’assumer en tant que tel: ne pas ceder sur son désir murmure Lacan derrière son Divan, rester fidèle à la vérité de l’evénement qui m’arrache hors de moi même répond Badiou.
C’est pourquoi je crois utile de livrer à votre réflexion ce texte de Patrick Colin sur l’Ethique, texte qui a servi de base au Séminaire qu’il a animé sur le sujet dans le cadre du DESU Coaching à la Faculté d’Economie Appliquée de l’Université Paul Cezanne.
Les coachs y trouveront, s’ils acceptent de faire un pas de coté pour se laisser porter par « l’étonnement philosophique », à la fois matière à réflexion et des pistes pour asseoir leur posture à travers l’articulation de la « Parrhesia » , le Dire Vrai et le Kairos, le moment juste, l’intensité de l’instant.
Lucien Lemaire
École Européenne d’Hippo coaching et de Coaching à Médiation Corporelle (www.hippocoach.org)
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L’ETHIQUE
Par P. Colin
Les termes d’éthique, moral et déontologie sont souvent des termes utilisés les uns pour les autres tant il est vrai que dans leurs origines ces mots ont des racines communes. Pourtant je crois nécessaire de mener des distinctions dans l’usage de ces trois termes. Pour cela je vais m’appuyer sur les travaux de Robert Misrahi et de son livre la signification de l’éthique. Misrahi définit l’éthique comme : « réflexions sur les implications du désir » Quand il parle de désir Misrahi fait référence forcément à un sujet capable de désir et qui dit capable de désir dit capable de faire un choix et de ne pas être complètement déterminé par son histoire ou sa biologie.
De ce point de vue on pourrait dire que l’éthique est un domaine spécifiquement humain. La question éthique ne peut donc se poser que dans un contexte dans lequel est reconnu un sujet capable d’opérer des choix. Choix il y a et à la réflexion nous ne cessons de poser des choix tout au long de chaque journée, le choix ultime étant le choix de ne pas choisir mais c’est sans doute le choix le plus difficile, donc sur quoi le sujet peut-il se fonder pour opérer un choix :
La première possibilité c’est la morale, la morale propose des valeurs qui sont souvent des valeurs sociales partagées par tout un groupe, et au nom de ses valeurs le sujet pourra a priori opérer son choix. Ces valeurs varient selon les cultures, les moments de l’histoire, elles peuvent être la vertu , le devoir, le plaisir, tout ce qui est considéré comme relevant du bien suprême. Pour Platon par exemple c’est ce qu’il nomme le souverain bien qui sert de guide pour déterminer l’action juste. Le souverain bien, l’idée du bien, est un principe qui se trouve en dehors du monde, dans le monde des idées il y a donc chez lui supériorité du monde intelligible par rapport au monde sensible.
C’est avec Platon que commence la grande histoire du dualisme celui du ciel de la Terre celui de l’âme et du corps etc. dualisme qui fera fortune dans les siècles suivants. Cette conception renvoie donc à une extériorité, il y a un bien absolu extérieur à l’être humain et antérieur à toute expérience et à toute action et il s’agit de déterminer ses choix par rapport à lui. Le problème qui se pose est évident, le souverain bien étant tellement parfait et les moyens pour l’atteindre étant malgré tout relativement flous il apparaît donc que le souverain bien est un moyen relativement inutilisable pour déterminer ses choix.
Une morale donc qui se posent à partir de préceptes issus de quelque chose d’extérieur à l’humain pose donc toujours le problème de son utilité pratique pour guider un choix ou une action.
Quels que soient le cas de figure toute moral issue de ce principe pose toujours le même problème. Elle vient aussi en contradiction avec ce qui fonde le désir même du sujet c’est-à-dire sa liberté plus ou moins grande de choix.
On voit bien que la moral et liberté viennent souvent s’affronter et que la contestation de la morale du moment reste toujours le moyen privilégié d’expression de la liberté d’un sujet.
La deuxième solution pour guider un choix serait de ce point de vue la déontologie. La déontologie et plus concrète que la morale et son champ d’action plus réduit elle n’a pas vocation à l’universalité comme le voudrait la morale il n’ y a pas une déontologie mais des déontologies qui sont reliées toujours à une activité souvent professionnelle. Pourtant il semble bien à y regarder que ce qui paraît concret au premier abord est souvent là aussi bien abstrait c’est-à-dire que une déontologie pour une profession ne vaut que dans ce champ particulier et rentre facilement en contradiction avec d’autres déontologies. l’exemple donné est celui de la déontologie médicale qui interdit aux médecins de donner la mort et en face la déontologie militaire qui prescrit le fait de tuer l’ennemi .Que fait un médecin militaire ?comme le dit Misrahi « une déontologie ne fait qu’exprimer sur un mode tautologique (et obscurément) une conception particulière de cette profession et cette conception n’est fondée ni justifiée par aucun principe » il apparaît donc que la déontologie non plus ne peut fournir un guide véritable pour une action.
Il nous reste donc l’éthique. Elle est définie par Misrahi comme étant « la recherche d’un système de principes destinés à orienter l’action vers l’accès à la plénitude du sens » ce qui fonde l’éthique ce n’est ni un code ni l’idée de valeurs extérieures et universelles en fait ce n’est rien d’extérieur au sujet, ce qui fonde l’éthique c’est le sujet lui-même. L’accomplissement du désir par le sujet est bien le problème de l’éthique. Mais, ici, l’accomplissement du désir n’est pas la satisfaction du besoin.
L’accomplissement du désir c’est par quoi le sujet donne et se donne du sens. Pour cela la satisfaction du besoin peut être reporté. Pour Misrahi l’action éthique se définit autour de trois critères :
- la positivité : c’est ce qui va dans le sens de l’accomplissement du désir
- la réciprocité : c’est la conscience de l’existence de la valeur de l’autre. Ici il ne s’agit pas de valeurs morales, si le sujet est défini comme désir alors l’autre y est immédiatement impliqué.
- la singularité : la réciprocité prend en compte non pas l’universel abstrait mais la singularité concrète des êtres engagés dans une relation. Misrahi précise : « c’est la prise en compte le respect de la singularité personnelle des désirs et des joies qui seront alors critères d’une action valable, digne alors d’être poursuivie ou instaurée »
Pour résumer : la morale et la déontologie se fondent toutes deux sur l’extériorité des valeurs pour la morale et l’extériorité de l’activité professionnelle pour la déontologie. L’éthique elle. se fonde au contraire sur le seul sujet elle n’est pas un système codifié c’est un acte. La notion de code d’éthique, fort à la mode de nos jours, est une contradiction dans les termes dans la mesure où elle nie la singularité du sujet de l’acte.
L’ETHIQUE DE BADIOU ET LA PARRHESIA GRECQUE
Badiou définit l’éthique comme suit : » recherche d’une bonne manière d’être ou la sagesse de l’action. Ce qui ordonne l’existence pratique à la représentation du bien ».
De nos jours l’éthique est devenu un principe de jugement des pratiques d’un sujet (individuel ou collectif) et se décline en droit de l’homme et du vivant.
La contestation sur ce sujet n’est pas nouvelle, déjà Foucault, Althusser et Lacan avaient contesté l’existence d’une identité naturelle et spirituelle de l’homme, ce qui remet en cause la possibilité d’une éthique en tant que loi générale. Badiou récuse donc cette forme de conception de l’éthique qui définit l’homme dans des droits et des devoirs déterminés une fois pour toute et qui fige de ce fait la représentation de l’homme.
Pour lui l’homme se définit avant tout par la possibilité. Il définit celui-ci en tant « qu’immortel » signification qui n’est pas sans rappeler le sur homme de Nietzsche .L’immortel est l’essence de l’homme L’immortel est celui qui s’ouvre malgré tout aux possibles (à l’impossible (cf. : Maldiney, St Paul) « La subjectivation est immortelle et fait l’homme, en dehors de cela il n’existe qu’un bipède sans plume » L’homme comme immortel se soutient du non étant, de l’impossédé. (Utopie)
Ceci l’amène à définir ce qu’il appelle une éthique des vérités. La vérité est la fidélité à la rupture évènementielle survenant dans la situation (l’événement étant par définition en rupture de toutes les lois régulières régissant la situation) L’événement ouvre une nouvelle manière d’être ou d’agir dans la situation. (Exemple de l’état amoureux, Einstein…) Le sujet est le support de cette vérité et le processus de vérité induit le sujet. Chez Badiou, le sujet ne se confond pas avec la personne, il est ce qu’induit l’événement, il peut être œuvre d’art, parti politique. Les processus de vérité dépassent en général le cadre de la personne, la personne prend consistance dans son rapport à ce sujet collectif. Il est un point support. Ce sont les évènements qui nous convoquent à devenir humain dans la fidélité aux possibles ouverts par la situation.
La vérité, de ce point de vue est quelque chose qui advient au décours de la rencontre, elle n’est pas quelque chose qui peut se dire. Ainsi, pour Badiou, l’éthique ne peut être qu’individuelle et non collective, elle ne peut être définit par aucun code, car elle est ce qui fonde l’homme dans son humanité, c’est-à-dire à s’inventer à chaque fois dans une manière d’être, réponse au défit que nous lancent sans cesse les évènements surgissant. Que veut donc nous dire Badiou ?
- L’éthique « des droits de l’homme », la bio éthique, se réfèrent à une image de l’homme close sur elle-même est définie une fois pour toute comme animal rationnel, fils de Dieu, etc.
- que cette manière de concevoir l’homme rate ce qui le fonde comme humain, c’est-à-dire son ouverture aux possibles, à l’évènement, ou tout autre que lui.
- que de ce point de vue, l’éthique, c’est-à-dire ce qui définit ce qui est bien, qui vise à protéger, accroitre, prendre soin de ce qui est le plus essentiel, donc de ce point de vue une éthique ne peut être que ce qui sauvegarde l’ouvert, ce que Badiou appelle la fidélité à la vérité.
- il ne peut donc en conclusion et en conséquence de tout cela y avoir de loi éthique.
Cette position vis-à-vis de l’éthique, Badiou, n’est pas le seul à l’avoir. On pourrait rapprocher cette vision de l’éthique de Heidegger, voir de celle de Nietzsche. L’idée de la relation de l’homme à l’ouvert en temps que l’élément qui le fonde comme humain, cette idée vient bien entendu de Heidegger.
Nietzsche quant à lui est plutôt un philosophe de la transition. D’une part il est dans une définition de l’homme close, comme instinct, élan vital. Mais il est aussi dans une référence à un tout autre quand il pense la vie comme volonté de puissance. Ce qui est bon c’est ce qui accroit la vie, laisse libre cours à son affirmation. Le mythe majeur de Nietzsche, celui de l’éternel retour du même, est un mythe d’intensité. Cette idée de vouloir chaque instant de telle manière que l’on voudrait qu’il se répète éternellement, c’est idée renvoie à une intensité pathique, et c’est intensité, comme toute intensité ne renvoie pas à un quelque chose mais justement à une ouverture première dont nous faisons l’expérience dans cette intensité pathique.
Pour faire le pont entre ses différents auteurs et essayer d’amener par cela à une forme de pratique je vous invite à un petit voyage à la fois géographique, en Grèce et dans le temps, celui de la Grèce antique.
Je voudrais vous parler de la notion de parrhesia, notion qui a été mise à jour notamment par Michel Foucault dont je m’inspirerais, notamment de son cours au collège de France en 1981 82 intitulé » l’herméneutique du sujet ». La parrhesia, s’inscrit ici dans tout un dispositif que nous retrouvons dans la Grèce antique aussi bien que dans les premiers siècles de l’empire romain, le dispositif du souci de soi.
Ce dispositif se résume à ces deux phrases célèbres : le gnôthi seouton, et l’epimeleia heautou , le connais-toi toi-même et le prendre soin de soi-même. Ce travail sur soi a pour but d’amener l’individu à un état lui permettant d’avoir accès à la vérité de et de ce fait d’être sujet de vérité.
Il faut bien comprendre que pour les Grecs mais comme pour beaucoup un d’autres peuples et cultures, l’homme tel qu’il est à sa naissance n’est pas en état d’être dans la vérité. Il y a tout un travail tout une metanoia à accomplir pour que l’individu soit passible de la vérité, donc il y a tout un travail, une forme d’initiation qui va permettre au sujet de devenir vraiment humain.
Donc la parrhesia s’inscrit dans tout ce dispositif. Il est à remarquer que les parrhesiastes sont un peu comme nos ancêtres, les ancêtres des psychothérapeutes, des psychanalystes et les ancêtres peut-être des coachs. Ce sont en fait les premiers notamment avec les sophistes qui ont eu l’idée de faire profession de philosophe c’est-à-dire de se faire payer pour guider quelqu’un sur le chemin de sa propre vérité.
Qu’est-ce donc que la parrhesia ?
La traduction de parrhesia est le dire vrai. Le dire vrai, de dire la vérité. Foucault parle de franc parlé.
Et que veut dire, dire la vérité pour un grec ? Chez eux la vérité n’est pas encore ce qu’elle est devenue de nos jours et qui commence déjà un peu avec Aristote c’est-à-dire l’adéquation de la pensée et de l’objet. La vérité est encore ce qui se dévoile, ce qui se donne à voir dans la situation, elle est donc changeante, mouvante, .elle est a-letheia, c’est-à-dire effacement de l’oubli, dévoilement.
C’est donc dire que pour un grec il n’est pas question de chercher la vérité comme on chercherait un trésor au fond d’une caverne. La vérité ne pré existe pas à son énoncé même, et l’énoncé de cette vérité qui est du coup toujours vérité singulière pour un sujet singulier, fait de celui qui la prononce un sujet de vérité. On pourrait presque dire qu’il n’est de sujet que dans cette énonciation de sa vérité, énonciation qui est dire de soi le plus intime et aussi affirmation de soi, habitation d’un là.
On voit bien que dans cette notion de parrhesia il n’y a pas de différence entre le dire vrai et la vérité de celui qui dit. Chez les grecs d’ailleurs l’intérêt s’est toujours porté vers le qui plus que sur le quoi, celui-ci étant souvent assez indifférent. Le parrhesiaste et donc celui qui parle librement (c’est-à-dire que son propos n’est pas modifié par la flatterie par exemple, la flatterie est l’inverse de la parrhesia) et qui partage ce qui est vrai pour lui dans la situation singulière qu’il est en train de vivre .
De ce point de vue, le parrhesiaste se distingue des autres figures classiques de cette période de l’histoire que sont : le prophète, le sage, et l’enseignant.
Ce qui différencie le parrhesiaste du prophète c’est que le prophète ne parle pas en son nom il est un médium entre un dieu et les hommes, sa parole ne l’engage pas en tant que lui-même.
La parole du sage est un peu plus proche de celle du parrhesiaste elle s’en distingue toutefois par le fait que le sage parle de la vérité dans le sens général, de la vérité des choses de celle des dieux. Il ne parle pas de la vérité singulière de sa rencontre elle aussi singulière avec un autre homme.
Enfin le technicien ou l’enseignant, lui transmet un savoir qui n’est pas le sien, et qui de ce fait n’est pas engagé dans sa parole. Nous voyons bien là que ce qui caractérise le parrhesiaste c’est bien ce dire vrai ce dire libre par rapport à une situation singulière dans laquelle il est complètement engagé en tant que lui-même.
Le but que de la parrhesia est donc bien d’amener l’interlocuteur à pouvoir lui aussi faire l’expérience de sa propre vérité. C’est l’expérience de ma propre vérité qui me rend vraiment sujet et qui dit sujet d’une certaine manière dit aussi liberté. D’ailleurs les latins ne s’y sont pas trompés en traduisant parrhesia par libertas.
Je renvoie donc ceux qui seraient intéressés par un complément d’information sur ce sujet au cours de Michel Foucault au collège de France dont je rappelle le titre : l’herméneutique du sujet, cours au collège de France 1981 1982 édité chez Gallimard.
Si j’ai fait ce long détour c’est pour essayer de dégager ce qu’il en serait à la fois d’une éthique et d’une pratique concernant la relation à l’autre.
Que ce soit Badiou, mais je dirai aussi Heidegger, la notion de parrhesia, dans tous les cas nous trouvons une éthique qui concerne la prise en soin, la prise en regard de la singularité de chaque situation, de l’évènement, et une sorte de fidélité à ce qui surgit à cette occasion, ce surgissement étant vérité de soi.
Un autre élément, concernant la parrhesia, et sur lequel je ne me suis pas attardé, est la notion de risque.
Comme je l’ai dit plus haut, l’opposé de la parrhesia est la flatterie, ce que de nos jours nous appellerions plus volontiers, la séduction.
En effet le dire vrai implique que celui qui dit prend le risque de dire ce que l’autre ne veut pas entendre donc prend le risque de la crise et du rejet. Cette notion est importante à l’époque grecque dans la mesure où la parrhesia a aussi une fonction politique. L’exemple donné est celui de Platon à la cour du tyran Denys, tyran de Syracuse, quand ce dernier demanda Platon ce qu’il est venu faire là, Platon répond qu’il est venu chercher un homme et qu’il ne l’a pas trouvé. Sur ce Denys fit vendre Platon comme esclave.
Ce que je veux dire par là c’est bien que dans le dire vrai il n’est pas question de rentrer dans le désir de l’autre mais de dire ce qui est vrai pour soi dans cette fidélité dont parle Badiou. Dans l’accompagnement de l’autre, puisque telle est notre profession, il convient donc en référence à ce qui vient d’être dit d’être attentif à ce qui se déploie là dans cette singularité de la situation je dirai même dans l’étonnement de la nouveauté de chaque situation.
Mais dire ce qui est vrai pour soi ce n’est pas pour autant dire tout et n’importe comment. Déjà, Philodeme de Gadara, épicurien de la fin du Ier siècle avant Jésus-Christ dont a été retrouvé un manuscrit à Herculanum dans la villa des papyrus, donc déjà Philodeme dans son traité sur la parrhesia essaye de mettre quelques règles à ce dire vrai. Chez lui nous retrouvons cette notion très grecque du Kairos.
Pour le dire vite le Kairos et le moment opportun. Comment définir ce moment opportun, ça il ne le dit pas. C’est le moment où l’on pense à juste titre pas que la personne est disponible pour entendre ce qui doit être dit.
Peut-être j’éclairais cela par un concept que nous utilisons en Gestalt thérapie, qui est celui de dévoilement Le dévoilement a en commun avec la parrhesia le fait de partager avec son interlocuteur ce qui se passe pour soi dans la rencontre. Ce qui est l’objet de ce partage c’est avant tout la description du vécu de l’expérience en cours, c’est-à-dire comment je suis affecté, intonné, par la situation qui se construit au fur et à mesure. Il ne s’agit pas en effet de raconter à mon patient mes vacances ou ma vie amoureuse, je ne pense pas que cela lui serait d’un grand secours. Il s’agit juste de mettre en évidence en lumière, ce qui se passe la dans l’instant de notre rencontre afin d’accéder l’un et l’autre à notre propre vérité vécue qui n’est pas forcément celle de nos représentations. Être fidèle à l’événement qui fait de cette rencontre singulière une situation toujours déjà nouvelle et qui me convoque ainsi que mon interlocuteur à devenir moi-même dans une guise toujours nouvelle. Le Kairos, l’instant propice pourrait peut être se définir ainsi, comme ce moment d’advenue à soi dans une dimension du temps qui n’est ,pas celle de la chronique, du chronos.
Pour résumer ce qui vient d’être dit à propos de Badiou, Heidegger et Nietzsche, je pourrais dire que ce qui définit pour eux le Bien, c’est-à-dire ce que l’on doit prendre en soin, en souci, c’est bien cette dimension de l’ouverture aux possibles, à ce qui me dépasse, ce qui m’ouvre sans cesse à de l’Autre que moi, et cette dimension qu’on l’appelle vérité, volonté de puissance, l’ouvert est bien au delà du bien et du mal, car elle peut prendre n’ímporte quelle forme en fonction justement de cette indétermination foncière du monde et de soi.
« Le vrai toujours Est-ce qui naît D’Entre nous Et qui sans nous Ne serait pas
Né d’entre nous Selon le souffle Du pur échange
Le vrai toujours Est ce qui tremble Entre frayeur et appel
Entre regard et silence. » François Cheng le livre du vide médian Albin Michel
Patrick Colin