Art équestre et management

 

“……L’image du cheval apparaît très tôt, dès le Neandertal. Puis les nécessités de la domestication, du travail et de la guerre vont d’abord s’attacher à perfectionner le matériel : le mors fait son apparition en Mésopotamie dès le IVe millénaire, la selle, les étriers et les fers apparaissent au Ve siècle de notre ère à Byzance.

On trouve trace chez les Hittites de la détermination de quelques principes d’équitation, mais il faut attendre Xénophon pour avoir un premier traité d’équitation qui met déjà l’accent sur ce que l’on appellera plus tard légèreté :

« Si quelqu’un, montant un bon cheval de guerre, veut le faire paraître avantageusement et prendre les plus belles allures, qu’il se garde bien de le tourmenter, soit en lui tirant la bride, soit en le pinçant de l’éperon ou en le frappant avec un fouet, par où plusieurs pensent briller. […] Conduit, au contraire, par une main légère, sans que les rênes soient tendues, relevant son encolure, et ramenant sa tête avec grâce, il prendra l’allure fière et noble dans laquelle d’ailleurs il se plaît naturellement ; car quand il revient près des autres chevaux, surtout si ce sont des femelles, c’est alors qu’il relève le plus son encolure, ramène sa tête d’un air fier et vif, lève moelleusement les jambes et porte la queue haute. Toutes les fois qu’on saura l’amener à faire ce qu’il fait de lui-même lorsqu’il veut paraître beau, on trouvera un cheval qui, travaillant avec plaisir, aura l’air vif, noble et brillant. »

… tout est dit, non ?

L’art équestre nait au XVe siècle et se développe pour trouver toute sa grandeur du XVIIe au XIXe siècle. Il se développe en même temps que les techniques de guerre, en fonction de l’évolution de l’utilisation du cheval sur le champ de bataille Avoir un cheval mobile, réactif, aux ordres, rapide constitue désormais un avantage stratégique important.

C’est à partir du XVIe siècle avec Pluvinel que cette discipline s’inscrit d’une manière spécifique dans la culture française grâce à cette  longue tradition, qui de De La Guériniére jusqu’au général de Carpentry, en passant par le génial Baucher, le comte d’Aure  et le général Lhotte imprègnent l’histoire des mentalités françaises au point où la  querelle de Baucher et du Comte d’Aure a largement fait écho avec  celle d’Hernani, Lamartine prenant parti pour le génial écuyer de cirque représentant d’une approche rationnelle de l’équitation.

Quel est l’enjeu de la belle équitation, de ce qu’il faut bien appeler l’Art équestre (c’est quand même plus vivant qu’équitation académique) ?

Rien de moins que la discrétion du cavalier au profit du dévoilement du cheval dans tout l’éclat de sa beauté : Faire advenir le cheval dans son être, voilà l’enjeu

Ceux qui ont vu le grand Maître Nuno Oliveira sauront de quoi je parle !

Comment ne pas entendre, dans cet idéal, l’essence du leadership : permettre à chaque collaborateur de développer son potentiel, sa créativité, pour lui-même et au service de l’entreprise.

Voici quelques années déjà, j’ai eu la chance de pouvoir assister à un stage dirigé par l’écuyer portugais, alors encore très jeune, Carlos Pinto. L’écuyer regardait travailler un cavalier, belge mais cela reste anecdotique, qui avait du mal, manifestement, à régulariser le trot de son cheval. Carlos lui demanda de descendre, se mit en selle, pris délicatement les rênes et resta quelques secondes immobile. Je vis alors le cheval devenir attentif, tourner ses oreilles vers l’arrière, puis, sans que le cavalier ait encore entrepris la moindre action, hésiter, rentrer les postérieurs et tout, doucement commencer, à se rassembler*. Sur une action de l’écuyer, le cheval se porta en avant, chercha son équilibre*, fit quelques foulées encore désunies, trouva son impulsion*, puis rentra dans un joli trop d’école à la cadence* énergique et élégante.

Je crois que l’on peut comprendre ici beaucoup des dimensions et du leader et du manager car le seul objectif de l’art équestre est de dévoiler le cheval dans toute sa beauté, son énergie, sa puissance  dans un travail sans doute imposé mais aussi accepté et même plus qu’accepté, attendu dans un plaisir commun.

Bien sûr, le cavalier doit se faire  oublier mais il reste profondément présent, attentif à entretenir l’impulsion, garant du sens de l’exercice et du respect des règles. Le cheval est libre de déployer toutes ses qualités  pour peu qu’il reste à l’intérieur du couloir des aides* : quel plus bel exemple d’un contrat de délégation !

Le rôle du leader est de donner le sens, de créer les conditions initiales de l’impulsion* dans l’équilibre*, de donner les règles du jeu. Le rôle du manager est de  veiller au maintien des conditions nécessaires à la motivation, à l’équilibre et à l’entretien de l’impulsion, au respect instantanée des règles du jeu.

L’écuyer dans le travail de basse école vise la mise en condition physique et psychologique du cheval comme le manager doit veiller à la préparation et à la montée en compétence de ses collaborateurs, de ses équipes et s’assurer que toutes les conditions nécessaires au travail demandé sont réunies ou à portée de main.

Le travail de haute école consiste en l’apprentissage de situations complexes où le cheval va puiser dans toutes ses ressources, exprimer tout son talent, tout son brillant ce qui ne peut se faire que dans la confiance et le plaisir partagé.

Peut-être, et c’est plus qu’un clin d’œil, les managers pourraient-ils avantageusement s’emparer du vocabulaire équestre : impulsion*, équilibre*, mettre en avant, effet d’ensemble*, cadence*, discrétion des aides…

Quel plus beau projet pour un leader, un manager que de créer les conditions et les bons réglages pour qu’une équipe s’exprime le plus librement, avec créativité, le plus énergiquement possible.

Je pourrais reprendre tout ce vocabulaire équestre et en montrer l’immense intérêt pour le management. Mais je ne souhaite pas être trop démonstratif et préfère laisser le lecteur faire les liens nécessaires comme je le fais avec les stagiaires en hippocoaching  après chaque expérience.

Tout travail équestre commence par un travail sur la rectitude : « calme, en avant, droit »*. Il est fondamental d’éviter les demandes contradictoires, « mains sans jambes, jambes sans mains », pas de frein et d’accélérateur en même temps. Les systémiciens appellent ça une double contrainte et pensent que ça peut rendre fou (Sauf, et c’est l’objectif des koans Zen, ces paradoxes support de méditation,  si on arrive à sortir du cadre !).

Sortir du cadre, en équitation, c’est par exemple utiliser  l’effet d’ensemble. Il est parfois intéressant de freiner et accélérer en même temps puis de lâcher la bride dans la seconde, pour créer une mobilisation puissante et salutaire.

Mais cela ne peut être exécuté que par un cavalier de grand talent possédant au plus haut point cette qualité indispensable : le tact*

Toute ressemblance avec tel ou tel manager est évidemment purement fortuite !

En tout état de cause, les coachs systémiciens reconnaîtront cette figure de la rhétorique professionnelle : la méchante connotation positive. Les écuyers connaissent cela depuis le XVIIème  siècle !

Je vais terminer ce paragraphe en évoquant une anecdote personnelle dans une autre discipline, le vol à voile. J’étais en vol de qualification avec un instructeur génial mais un peu rude dans les relations ! En tout cas, il trouvait que j’agitais beaucoup trop les commandes pour d’incessantes corrections. Après m’avoir traité (et l’avoir inscrit sur mon carnet de vol !) de « branleur de manche », il m’a dit ceci qui reste à jamais gravé dans ma tête : « règle ta machine au mieux pour la configuration du vol et les conditions aérologiques, laisse là se débrouiller, elle fera mieux que toi,  et prend plaisir à la regarder et sentir voler ».

Voilà une grande leçon de management que l’on apprend aussi par l’équitation….”

©Lucien Lemaire

Ecole Européenne d’hippocoaching

Co-Presence

Extrait de mon  livre  “Le changement incarné, hippocoaching et coaching à médiation corporelle ” à paraître début 2015

Reproduction interdite sauf autorisation formelle de ma part

 

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