Le coaching, comme l’art, confronte à l’instant irréductible de la rencontre….

« De même, on peut se demander si toutes les conclusions générales (les outillages, les méthodes, c’est moi qui rajoute) […] n’expriment pas une conception puérile du savoir, le désir de passer une fois pour toute derrière l’énigme et de la dominer en s’en tenant au plus loin »

« C’est comme si (dans la rencontre, c’est moi qui rajoute) une source ultime de l’existence se rendait passagèrement visible, comme si des raisons cachés de notre être étaient ici immédiatement et entièrement en action […] De là vient une mise en question, de là s’élève un appel à l’existence qui agit d’une manière féconde en nous pressant de nous transformer nous-même auprès de ce qui reste l’inaccessible »

Maurice Blanchot « La folie par excellence »

Je n’aurai jamais mis aussi longtemps pour écrire un article qui, pourtant,  macère depuis des mois dans un recoin de mon préconscient.

Et pourtant, je pensais, je pense toujours, avoir fait  le plus gros du travail dans ma communication au congrès 2011 du Réseau Asie/pacifique/CNRS, «  L’Aïkido et l’expérience originaire de l’Etre » (http://www.gis-reseau-asie.org/uploaded_files/congress/d03_lemaire_aikido.pdf).

La difficulté est d’éviter deux écueils, celui du délire conceptuel (et j’y participe trop souvent )  qui loupe définitivement sa cible et le délire new âge qui rabat l’expérience  sur une magie niaise. Dans les deux cas, l’enjeu est l’évitement de se confronter à la réalité, à sa réalité, c’est-à-dire de s’engager, sincèrement, dans un chemin de vie difficile, douloureux, contraignant, exigeant. Car comme nous le répéter à l’envie Maitre Noro mon premier Maitre en Aïkido : pour voir clair il faut polir le miroir par un entrainement intensif.

« Tout ce qui n’est pas directement  vécu, s’est éloigné dans une  représentation » : apprendre c’est faire l’épreuve tout le reste n’est qu’imposture. Il est étrange,  qu’ici, Guy Debord rencontre le Zen !

Voici, donc,  un titre bien ambitieux si je ne veux pas que mon texte reste l’une de ces invocations magiques qui autorisent tout et n’importe quoi  et servent surtout ces satisfactions narcissiques qui bloquent toute tentative de compréhension sérieuse.

Il nous faudra, donc, avancer à petit pas si l’on veut comprendre où et comment l’espace du coaching peut avantageusement se structurer comme une oeuvre d’art. Car je prétends qu’il ne s’agit pas d’une litote ouvrant à une métaphore floue, ah! C’est du grand art, mais bien d’une essence commune qui renvoie, donc,  à une réalité profonde.

Nous tenterons dans un premier temps de définir ce qu’est une œuvre d’art en éliminant, d’abord,  ce qu’elle n’est pas, puis nous ferons le lien entre la rencontre immédiate du spectateur et de l’œuvre et cette intuition créatrice qui plonge au coeur de l’Etre, enfin, nous verrons que le Kairos de la rencontre n’est pas le fruit d’un hasard où il suffirait de laisser le coach divaguer mais d’une préparation souvent minutieuse et douloureuse.

Qu’est que l’Art?

Pour répondre à cette grande question, il est peut être utile, comme une sorte d’assouplissement avant le grand saut ou mieux comme court-circuit de toute pensée chosificatrice, comme la théologie négative, la théologie apophatique, de dire ce qu’il n’est pas.

Le mot artiste, comme le mot coach,  est aujourd’hui mis à toutes les sauces.  On y trouve aussi bien ceux qui veulent vivre en marge avec une activité créatrice que les chanteurs, les fantaisistes, les acteurs et bien sur tous ceux qui pratiquent une activité dite artistique  (qui mieux qu’un mot valise devient fourre-tout).

Alors revenons à l’une des définitions du Larousse:

L’art est “Création d’objets ou de mises en scène spécifiques destinées à produire chez l’homme un état particulier de sensibilité, plus ou moins lié au plaisir esthétique”

Bien sur les mots importants vont être “sensibilité” et “Esthétique”. Il se trouve qu’en grec le mot Aisthesis a une double signification celle de sensation et celle de beau.

On voit déjà apparaître une esquisse encore bien fragile de définition : l’art serait ce qui nous touche au-delà des mots  en provoquant la sensation du beau.

On perçoit déjà ce que n’est pas l’art: « au-delà des mots », il n’est, donc, jamais descriptif. Il n’a rien avoir avec cet “art” contemporain, cet art bavard, qui fait fureur et  qui prétend dire des choses en particulier sur la société. L’art est au-delà de la représentions (qui est la mort de la chose s’il faut mettre les points sur les i) et dès qu’il prétend représenter, figurer,  il se perd lui-même.

Est-ce à dire que le figuratif en peinture n’est pas de l’art? Nous y reviendrons mais pour répondre rapidement une œuvre figurative devient une œuvre d’art quand elle excède radicalement ce qu’elle figure.

Alors peut-on donner une définition de l’Art (avec un grand A). Je répondrai par la formulation de Maldiney qui dans la sobriété de son raccourci plonge au cœur de l’essence de l’Art:

“L’art est l’éclair de l’Etre”

Il est important de laisser résonner cette définition qui fait intervenir deux mots: éclair et Etre.

Qui dit éclair dit court-circuit: l’art fait court-circuit. Court-circuit entre quoi et quoi? Entre le monde de la mondanité (du spectacle, de l’aliénation, du fétichisme,  de l’évitement, des procédures, de la représentation….) et l’injonction  d’Être qui est toujours ouverture inconditionnelle et pure possibilité. C’est dire s’il ne saurait y avoir un quelconque “savoir être”, cette tarte à la crème  des formations RH.

Il nous faut maintenant faire un pas vers l’Être afin de n’en pas distordre le sens  en faisant un substantif new-age ou une quelconque crypto théologie.

Évidemment, seul l’homme est capable d’Art.

La définition nous renvoie, donc, à une définition  de celui-ci.

Repartons d’Heidegger :

l’homme a ceci de particulier qu’il est cet «étant», (cet “objet”, cette substance”)   qui par son essence  se pose la question de son être. L’être est à la fois un concept d’une insidieuse familiarité et d’une insondable difficulté: parce qu’il nous est familier (je suis ceci, je suis cela, tel type psychologique, tel type de manager, tel profil de leader….)  nous évitons de le questionner et naviguons dans notre vie comme une chose parmi les choses définis par les attributs et qualités que nous nous octroyons. Nous fuyons l’angoisse en vivant sur le mode de la préoccupation quotidienne : celui de l’étant que je suis parmi les étant.

Monde de l’opinion, monde du divertissement, monde de l’identité (ici un synonyme de l’ego!; mais aussi monde du leurre, de l’évitement, de la fuite, monde auquel nous tenons tant sans voir qu’il n’est que l’instanciation du refus d’exister qui se fonde sur une peur panique de l’ouverture (il suffit de regarder sur Facebook pour voir comment l’urgence, pour les coach entre autres, est de colmater tout ce qui pourrait ouvrir à un quelconque inconnu).

Alors, si l’être de l’homme n’est pas cet être ci,  quel est t-il? Et c’est là qu’Heidegger apporte une réponse d’une apparente mais terrifiante simplicité: l’être de l’homme, «l’Etre là» est «existence»: l’homme a à ex-sister, c’est-à-dire à se porter au-devant de lui comme projet, comme possible. Voilà la différence ontologique: d’un côté le monde de «l’effectivité» (l’étant, le destin) de l’autre celui de la «possibilité».

Chaque possible ouvre un monde, c’est-à-dire déploie son sens dans tout son poids d’appropriation subjective.

Maldiney nous aide à faire un pas de plus.

Parmi toutes les modalités de « l’être là » il en est une particulière qui est sa capacité à être affecté, ce qu’Heidegger appelle la disposition, la dimension pathique de « l’Etre là ». Nous pouvons être touché et touché, parfois, par l’inattendu, l’inattendu radical, l’impensable, l’impossible, le réel dirait Lacan. Cette disposition fondamentale a être « passible de » l’impossible Maldiney en fait un existential qu’il appelle  transpassibilité.

E.Escoubas précise : «  Qu’est-ce donc que le « pathique » ? Le pathique est la sensation,  le « sentir » (où Maldiney préfère employer le verbe, « sentir », qui est actif, plutôt que le substantif sensation). La sensation (en grec aisthesis – qui va donner en français « esthétique ») est le premier et fondamental rapport de l’homme au monde : la révélation originaire du « il y a » se produit dans le sentir. Sa tonalité pathique peut-être de confiance ou d’angoisse selon que l’événement qui nous arrive et à même lequel nous nous advenons, est don offert ou violence faite » (H.M. Art et existence, p. 24) ».

Vous avez peut-être l’impression que nous nous sommes éloigné de l’Art, mais nous y revoilà: l’Art ouvre un “Monde”. j’ai dit ouvre c’est à dire qu’il ne le referme pas. Le monde ouvert par l’art, contrairement à l’espace de la représentation, n’est jamais saturé. Dit autrement, le choc de l’œuvre d’art n’épuise pas l’œuvre d’art: elle est, si elle est une véritable œuvre d’art, source d’étonnement, encore et encore.

 Lorsque j’écris que l’œuvre d’art ouvre un monde, cela veut dire qu’il l’ouvre pour quelqu’un: pour celui qui regarde, écoute, l’homme en présence.

 L’Art est rencontre entre un Homme et une œuvre.

 C’est dire si l’on se fout de l’histoire de l’art (il n’y a pas d’histoire de l’Art dit même Maldiney)  ou de la technique de l’artiste qui ne deviennent dans le rapport à l’œuvre que du bavardage érudit qui masque la plupart du temps l’essentiel.

Il nous faut maintenant examiner ce qui fait la singularité de cet étant particulier: le tableau, la musique, le poème…Où faut-il chercher cette puissance un peu mystérieuse qui nous transporte dans l’oeuvre d’art.

Je propose à la suite de Maldiney de partir du cas de la peinture. Ce qui me frappe dans tel tableau de Van Gogh c’est une tension qui me bouscule, qui m’absorbe, qui me bouleverse au-delà de tout discours (y compris surtout, celui sur l’art!).

Cette tension naît de l’architecture même du tableau dans les oppositions d’espaces, de couleurs, de matière. Cela n’a rien à voir avec ce que le tableau représente et ne recoupe aucunement les figures apparentes. Cette tension fait surgir une “forme” ouvrante, ouvrante à quoi?  au vertige, une forme qui s’organise toujours autour de vides qui, in fine, ont le même statut que le Silence dans la pensée de Maitre Eckhart: ouvrir à l’indicible.

Cette tension créatrice de forme, c’est le rythme.

Je propose pour essayer d’approcher cette notion difficile de repartir d’une anecdote que je raconte dans mon livre:

“Voici quelque temps, j’étais invité à diner, après une exposition de peinture, dans une très belle maison en haut du village où je réside, Eygalières. Cette maison avait une terrasse en pierre sèche qui s’ouvrait vers les Alpilles. Cela fait trente ans que j’habite Eygalières, 40 ans que j’habite aux pieds des Alpilles et pourtant lorsque que, un verre à la main, je m’installai sur la terrasse je fus pris d’un saisissement comme si les Alpilles surgissaient du néant dans l’intensité d’une présence que je remarquais pour la première fois. Il y avait comme une vibration qui provoquait chez moi une émotion profonde comme si je touchais à la vérité de l’Etre de la montagne. Sans doute Cézanne a-t-il connu cette émotion en méditant devant la Sainte Victoire et a-t-il compris que pour atteindre l’absolu de l’œuvre d’art c’est ce qu’il lui fallait restituer.

Comment rendre compte de cette fulgurance qui met en lien. En lien avec quoi ? En lien avec « quelque chose » qui résiste à toute approche conceptuelle, quelque chose d’universel, de vertigineux.

Au-delà de la figure des Alpilles, celle que rend une photo, la tension entre les masses, les couleurs, entre le vide du ciel qui apparait par effraction dans cette trouée du rocher et les pleins de la terre, de la végétation, surgit quelque chose d’indicible, une forme, qui fonde cette expérience numineuse d’appartenir à un tout. Cette architecture créée par l’équilibre des tensions énergétiques est le rythme.

Et ce surgissement, ce court-circuit qui vous saisit, n’est autre que la face grecque de la vérité : celle de l’Aletheïa, ce dévoilement/voilement qui s’impose comme une certitude… voilà peut-être un nom plus ancien pour l’insight de la psychanalyse !

Le rythme a à voir avec le temps, une forme de pulsation temporelle qui organise l’espace de la présence. Systole/diastole, le rythme n’est cependant pas cadence, mais justement ce qui trébuche dans la cadence pour échapper à la répétition mortifère et ouvre à partir d’un vide, d’un blanc, au radicalement nouveau »

Dit un peu simplement, la forme que fait surgir le rythme touche directement  au cœur en court-circuitant le niveau conceptuel.

 Elle fait surgir de rien un monde à neuf, irréductible à toute rationalisation de la rencontre: la rencontre est un événement.

Ainsi, Ce qu’il est important de retenir, c’est que le rapport de l’homme à l’œuvre  est rencontre et que cette rencontre n’est possible que parce qu’un rythme s’y actualise (c’est le génie de l’artiste) dans une forme non pas signifiante mais qui ouvre à l’insigne.

Cette rencontre est une mise en rapport immédiate (au sens propre de sans médiatisation)  avec le réel dans un court-circuit de sens qui subvertit le monde du quotidien pour faire surgir l’inattendu.

« Le réel est toujours ce qu’on n’attendait pas et qui, sitôt paru, est depuis toujours déjà là » nous dit Maldiney avec l’acuité de son style qui ouvre au cœur des choses.

Qu’est ce qui nous met en présence d’une nouvelle réalité dans l’immédiateté du saisissement de la conscience?

L’intuition, bien sûr lorsqu’on la débarrasse du folklore new Age, des dévoiements de la physique quantique pour les nuls (quand j’entends le mot quantique, je sors mon revolver-sauf avec les physiciens !)  ou des tarots!

D’ailleurs, le Larousse en donne cette définition: “Connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement, à l’expérience”.  Dans ces conditions l’intuition est “rencontre”, rencontre avec son objet. Or une rencontre ne peut avoir lieu sans un espace commun de la rencontre, le subjectum, c’est à dire le champ de la relation : un lieu, un lieu paradoxal dirait (mais pas comme ça !) le philosophe japonais Nishida.

Il est intéressant de se pencher un instant sur l’idéogramme japonais qui définit le mot Homme (Nin-Jen).

L’homme en tant qu’individu émerge toujours dans un champ de relation

On voit qu’il est constitué en fait de deux idéogrammes le premier – Nin – signifie la personne humaine dans sa dimension générique – la seconde – Gen ou Aida – veut dire « entre », « écart ».

Autrement dit l’homme ne trouve sa vérité que dans un « champ », l’Entre, qui préexiste à l’individualité. L’homme est toujours saisi dans sa relation avec le monde : sa famille, la société, la culture, la nature,….

On perçoit qu’il ne saurait constituer une monade, un sujet comme le pense la philosophie occidentale, mais bien plutôt qu’il fait toujours « monde »…et ce n’est pas sans rappeler la phénoménologie Heideggerienne.

Il faudrait suive Nishida dans sa logique topologique des lieux (« Basho »)  jusqu’au « néant » (néant parce que rien d’étant),  lire vacuité pour nous, qui met en lien avec la globalité de la vie, où s’enracine l’intuition agissante, lieu de la Vie, lieu de la Rencontre par excellence.

Musique et intuition agissante :

Le grand psychiatre japonais, Kimura Bin, est aussi musicien. Il remarque que lorsqu’un grand artiste joue un morceau de musique, il faut à la fois qu’il se souvienne des notes précédentes (la rétention Husserlienne), qu’il anticipe les notes suivantes (la protention Husserlienne), cela est vrai pour tout musicien, y compris le plus médiocre,  mais dans l’instant, juste, le Kairos, où il va jouer sa note, celle-ci surgit de rien, pure intuition agissante, juste la trace du souffle, la pulsation  du rythme.

Cette intuition agissante est « l’éclair de l’Etre » : Cela fait « Art »

Il s’inscrit alors dans le temps suspendu tout un monde en émergence, un nouveau réseau de sens, des résonances qui ne sont justement pas des «  raisonnances ». L’alchimie se passe au niveau de l’Aesthésis, du sentir.

Car tout ce qui est existentiellement important est a-conceptuel : au-delà de la communication, dans la Parole qui est souvent Silence à ce niveau-là.

Qu’en est-il du coaching ?

Voici quelques années, j’ai été sollicité pour participer au jury du master coaching d’HEC. Chaque candidat devait mener un co-coaching, le coaching d’un pair, ce qui est déjà problématique, devant un jury de trois professionnels.  L’exercice s’engage dans une espèce de danse formelle où la parole du coaché n’est jamais prise en compte mais renvoyée à un questionnement artificiel. Rien ne se passe. Les pistes de compréhension ouvertes par le coaché  ne sont pas entendues et, encore moins,  saisies. Au bout d’un moment, la moutarde commençant à me monter au nez, je demande à la candidate coach ce qu’elle est précisément en train de faire. Elle me répond avec une certitude qui me laisse, encore, pantois qu’elle se synchronise : vakog et autres singeries non verbales, techniques contre relation !

Voilà typiquement comment s’installe une instrumentalisation de la relation, qui disqualifie définitivement toute compréhension possible et condamne l’exercice à tourner en rond autour de généralités générales !

Car avant tout travail, il faut entendre et pour entendre, il faut écouter. Pour écouter, il faut faire silence intérieurement, ne pas développer de stratégie, ne pas préparer les réponses…ouvrir juste un espace où la plainte du coaché va pouvoir résonner.

« Ne parlons plus de demande mais d’appel. La demande s’adresse à un répondant constitué mais l’appel éclate dans un espace qu’il ouvre en abime et que ce serait fermer que d’y loger une réponse qui n’aurait pas été, elle-même mise en question dans son propre vide » (H.Maldiney)

Ainsi la question est d’ouvrir un vide dans lequel la demande du coaché va trouver à  s’éprouver jusque dans sa détresse initiale quand, enfin, les masques tombent. C’est seulement à partir de là que le vrai travail peut commencer.

C’est dans l’écoute sans enjeu, sans objectifs, dans le silence ouvert que va pourvoir s’organiser la rencontre avec le coach.

Car le coaching  est  la « rencontre » d’un coach et d’un client.

Cette capacité de rencontre, de faire encontre est, donc, à interroger avant même toute « élaboration théorique ». On touche ici à l’au-delà du concept dont on a parlé plus haut.

La condition de la rencontre est bien sur la présence : présence du coach dans toute la plénitude de son ouverture, présence du client jusque  dans ses errements, ses évitements, ses trébuchements qui en  sont autant  de modalités à accueillir avec une bienveillance qui ne dispense pas de démasquer les leurres! L’ouverture est le contraire de l’envahissement: toute présence et d’abord et essentiellement pudeur, c’est à dire le retrait.

La condition de la rencontre est le silence mais le vecteur de la rencontre c’est aussi la Parole (avec un  P majuscule) dont le silence plein, dans ce qu’il ouvre,   est l’une des formes les plus authentiques.

A un niveau plus profond, nous avons évoqué en introduction que ce qu’il y a de plus important se passe au-delà de tout concept, dans une mise en lien avec « quelque chose » d’universel, une réalité qui fonde notre Humanitude : le lieu de la rencontre réparatrice est, pour le dire trop vite, le lieu universel de la Vie. Quiconque a vécu cette expérience en sort transformé.

Peut être que d’un point de vue ultime la présence est cette capacité à témoigner de cette dimension là et de construire les conditions pour que le client puisse en faire l’expérience.

Entre les deux et qui fait lien, la présence, l’intensité de présence (O.Avron),  suggère une dimension énergétique : être présent à quelqu’un, c’est, peut être, créer, la situation énergétique  minimale pour lui rendre une capacité de parole qui puisse être entendue : la dimension énergétique de l’intonation (être en accord)  qui consiste à offrir une résonance.

Évidemment, nous évoquons, ici, une présence « originaire », antérieure à tous les leurres imaginaires dont le travail analytique, indispensable,  aidera à se déprendre.

Car atteindre ce silence qui devient pour le coaché plénitude du sens, il faut un travail difficile de déconstruction : travail sur les comportements, sur les modes de défenses, qui constituent le masque mortifère du client et, bien trop souvent, hélas, celui des coachs.

Seule une Parole Pleine, une Parole disruptrice, parce qu’elle court-circuite le moulin à Parole de la banalité, du bavardage,  est susceptible  de le réintroduire dans l’ordre du vivant. Cette parole fait Rencontre, dit Jean Oury, et toute rencontre fait sillon dans le réel, ajoute t-il à la suite de Lacan.

On est bien loin des modèles confortables et adaptatifs qui sont le lot trop commun de nos pratiques.

Cet espace qui s’ouvre grâce au vide organisateur, ce même vide qu’implique le mouvement d’Aïkido,  apporté par le silence (longuement travaillé)  du coach introduit une intensité fugitive, hors du temps,  qui bouscule les certitudes du coaché, lui font faire l’expérience que le néant qui le panique  n’est pas néant mais ouverture et que cette expérience est profondément réparatrice.

« Ce qui s’ouvre à partir du Rien, ce n’est pas d’abord un monde mais un événement. La présence n’est celle d’un soi que par son ouverture à l’événement, par sa transpassibilité ouverte au hors d’attente qui exclut tout a priori. » (H.Maldiney)

Car l’Homme, le manager, le leader est celui qui accueille ce qui arrive même hors d’attente et sait lui donner un sens. Possibiliser l’impossible voilà l’enjeu du leader.

Le danger, déjà souligné, est de remplacer cette expérience (que Nishida appelle expérience pure) par des slogans. On les voit fleurir sur face book où l’enjeu n’est plus la mise à l’épreuve mais la mise en spectacle dans une  surenchère  de communication, à visée de renforcement de l’ego,  qui coupe, peut être définitivement, toute possibilité d’expérience authentique.

Est-ce à dire que dans le coaching, il faut bannir toute technique ? bien sur que non. Comme le peintre prépare sa toile, choisit ses pinceaux, ses couleurs, le coach doit préparer son terrain, installer la relation, pister les bluffs, travailler les mécanismes de défense.

Mais c’est dans la situation résolutive, dans une forme qui transcende toute explication et toute technique pour le peintre comme pour le coach, que s’inscrit, un au-delà radicale de la technique,  l’éphémère de la rencontre dans une tension rythmique qui ouvre un espace purement pathique : l’éclair de l’Etre.

Les grands Maîtres d’aïkido avaient (je parle hélas à l’imparfait) cette disponibilité absolue, sans anticipation, sans peur, sans attente qui leur permettait de répondre à l’attaque de leur adversaire quelle qu’elle soit. On est loin des réponses sténotypées à des attaques stéréotypées qui sont le lot commun de toutes les démonstrations d’aujourd’hui. Le bluff toujours le bluff!

Toute ressemblance avec le monde du coaching…

J’ai évoqué la peinture, la musique et j’ai envie de terminer par la poésie et la parole de René Char :

«  Le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir »

Le coaching aussi ! Il s’agit d’apprendre à nos clients à ne jamais refermer les questions, à conserver cette attente sans enjeu qui seule leur permet d’accueillir  l’impensable et  possibiliser l’impossible. Ce n’est pas seulement une question d’éthique mais aussi d’efficacité. L’action juste (qui est le contraire de la gesticulation) jaillit de la spontanéité d’une perception juste.

Amener la situation relationnelle avec le coaché à ce point de suspension où se dévoile l’insigne, le non su, voilà l’œuvre d’art. Il faut beaucoup de travail sur soi (polir le miroir) beaucoup de savoir-faire, de disponibilité pour offrir à l’Etre le choix de sa résurgence : ce n’est jamais acquis d’avance.

«  Toute question ne garde sa force de réponse qu’aussi longtemps qu’elle reste enracinée dans le questionnement » (M.Heidegger)

Mais garder la question ouverte nécessite une hygiéne permanente:

« Quand on a mission d’éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière » (René Char)

Lucien Lemaire

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