Les entreprises sont confrontées, aujourd’hui, à des problèmes sans précédents. L’évolutivité, la réactivité deviennent des atouts majeurs. Dans ces conditions, plus que jamais, il appartient aux dirigeants de gérer le changement en favorisant le développement de toutes les ressources de l’entreprise. Cette capacité à fédérer, à regrouper, à motiver impose au manager le devoir de développer ses potentialités. Quels que soient les modes de management en vigueur, l’entreprise est avant tout une communauté d’hommes sous contraintes. L’équilibre de l’organisation s’entretient à travers un réseau de relations où se mêle étroitement la rationalité des analyses et les surinvestissements personnels. Il existe, donc, une dimension collective incontournable qui s’appuie bien sur une prégnance des comportements individuels. Toute intervention conséquente se doit de prendre en compte ces deux dimensions. Il ne s’agit pas de minimiser les autres niveaux possibles mais de montrer qu’une approche psychologique riche et efficace est possible dans l’entreprise.
L’objectif de ce texte est double :
- montrer que l’efficacité de toute intervention dans l’entreprise dépend, in fine, de la capacité des hommes à intégrer le changement et que dans ces conditions un travail psychologique peut se réveler pertinent et efficace.
- donner un exemple de ce type d’intervention, multiréférentiel et en souligner les spécificités et les difficultés propres,
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1. L’entreprise une communauté d’hommes en relation
1.1. L’entreprise dans le monde aujourd’hui
Le monde change et change vite. En moins d’un quart de siècle, l’économie occidentale est passée d’une économie de production à une économie de marché. La différence n’est pas anodine : elle a la violence d’une révolution. Jusqu’au années 1970, les besoins fondamentaux n’étaient pas satisfaits dans les sociétés occidentales. Les entreprises devaient produire : le problème essentiel semblait, alors, se résumer à celui de l’organisation de la production . L’idéologie dominante se construisait autour de l’approche Taylorienne, c’est à dire, de l’organisation rationnelle des moyens de production au mépris, trop souvent, des aspirations des hommes. Le chômage faible et l’inflation forte tendaient à masquer l’apparition de difficultés structurelles. L’Occident déroulait, sans questionnement et sans discernement une logique de fuite en avant. Le mythe (encore vivace) d’une expansion infinie du marché aveuglait les décideurs. L’euphorie était de rigueur. La résolution des problèmes sociaux (tout au moins en ce qui concerne les grandes puissances) n’était qu’un problème de temps.
L’avertissement vint des premiers chocs pétroliers : pour la première fois, des acteurs économiques nouveaux surgissaient sur le marché préludes au mouvement irréversible de la mondialisation de l’économie. Que ce soient des producteurs de matières premières, traditionnellement soumis à la loi d’airain de l’occident constitue un joli pied de nez de l’histoire qu’il est urgent de méditer .
Ainsi, la nouvelle donne s’est installée avec une brutalité sans précèdent contraignant les économies occidentales à des révisions déchirantes : mondialisation de l’économie, déséquilibre nord/sud générant des flux migratoires importants, concurrence sauvage pour la maîtrise d’un marché en raréfaction. L’univers devient chaotique et le pilotage de l’entreprise incertain, rendant nécessaire une capacité de réaction maximum. Grande est la tentation mortifère de réguler le marché par les moyens traditionnels que sont l’ajustement en temps réel de la capacité de production à la contrainte instantanée du marché générant une fracture sociale manifestement structurelle et qui va grandissante.
Plus que jamais auparavant, le pilotage de l’entreprise nécessite des qualités d’hommes : créativité, réactivité, adaptabilité, capacité de mobilisation, maîtrise de soi pour concilier à tout moment la nécessité de survivre à court terme en préservant le long terme.
1.2. Les hommes dans l’entreprise
Les changements sont rapides et brutaux : Organisation, stratégie, objectifs doivent être révisés en permanence sans céder à un opportunisme forcement générateur de désordre. Le savoir faire-faire, le savoir être, le savoir-changer sont, aujourd’hui, les valeurs indispensables de l’entreprise. Il ne s’agit plus de produire mais de s’adapter au mieux en minimisant les dégâts humains. L’entrepreneur est un leader capable d’entraîner. Quelles que puissent être ses connaissances par ailleurs, c’est, d’abord, avec ses qualités essentielles qu’il saura fédérer les efforts et cela ne peut se faire, dans l’entreprise comme dans tout groupe humain , sans une clarification des positions et des valeurs.
La théorie des jeux a permis une approche rationnelle des processus de décision dans l’incertain. L’étude des processus coopératifs (par exemple, le jeu itératif du prisonnier) montre que, s’il existe plusieurs stratégies gagnantes, la plus robuste reste celle du « donnant-donnant » qui s’appuie sur la vieille loi biblique du talion: par défaut, je coopère, et ce, tant que mon partenaire coopère, dans tous les autres cas, je réponds coup pour coup. Dans une telle situation, au delà des logiques d’appareils, on voit apparaître le rôle fondamental des acteurs en présence dans leur volonté d’imposer ou non une coopération vigilante. C’est, d’une certaine manière, la qualité des acteurs qui va garantir la pérennité d’un rapport gagnant-gagnant entre tous les membres de l’organisation engagés dans l’action commune.
Las, les logiques en présence sont fondamentalement divergentes: le poids des appareils mobilisent des stratégies internes complexes alors que le poids de la logique économique, génère souvent, sous l’effet de la pression, une idéologie de l’action sans recul. Ainsi, les acteurs, au sein de l’entreprise, peuvent aller jusqu’à l’affrontement , jamais exprimé comme tel et d’autant plus dévastateur. Enfermés dans leur monde propre, le jeu qui se joue est un jeu perdant-perdant , c’est à dire perdant tout court, pour l’entreprise.
1.3. L’analyse stratégique ou la réhabilitation des acteurs
En 1977, Michel Crozier et Erhard Friedberg posent les postulats de ce que l’on appellera désormais l’analyse stratégique. Elle s’appuie sur trois constats :
– chaque acteur développe ses objectifs et ses buts propres,
– tout acteur développe, au sein de son activité, une sphère d’autonomie qui alimente les jeux de pouvoir et qui entre en interaction forte avec le pouvoir institutionnel,
– dans ces jeux de pouvoir, les stratégies ont une rationalité limitée.
L’analyse stratégique réhabilite les acteurs comme rouages fondamentaux des organisations : c’est de leur capacité à gérer leur espace de liberté que dépend la réussite.
L’équilibre de l’organisation s’entretient à travers un réseau de relations où se mêle étroitement la rationalité des analyses et les surinvestissements personnels.
Les qualités managériales deviennent dès lors prépondérantes imposant au Chef d’entreprise une lucidité et une maîtrise émotionnelle sans faille (c’est à dire une liberté maximum par rapport à ses propres passions) qui ne saurait s’accommoder des interférences pathologiques issues des problématiques individuelles non clarifiées. La vie du manager (comme celle de tout homme) est fondamentalement une vie relationnelle. Toute décision doit emporter l’adhésion et, donc, s’affirmer dans la transparence maximale.
Il ne s’agit rien de moins que de réhabiliter les valeurs individuelles d’honnêteté, de courage, d’écoute, de créativité, de valoriser l’expérience plurielle et l’exercice de la liberté.
Permettre le développement de l’expérience pour faire grandir les hommes, c’est mobiliser à tout moment leurs qualités les plus profondes afin de garantir la pluralité des regards mais c’est aussi, nécessairement, faire assumer par chacun la responsabilité donc la conséquence de ses choix.
La notion d’équilibre se substitue à celle de consensus : le centre de gravité du pouvoir se situe , alors, en un lieu caché qui représente la résultante des forces en présence et non plus du coté d’une adhésion rationnelle à une position univoque. La vraie liberté devient une valeur fondamentale et mobilisatrice car, en se revendiquant elle permet d’éclaircir les positions respectives dans un processus qui s’apparente à la levée du refoulement.
Les répétitions dans l’entreprise Il en est des entreprises comme des individus : elles peuvent être soumises à des logiques d’échec. Ainsi, telle entreprise qui échoue systématiquement dans toutes ses tentatives de croissance externe : indécision sur la stratégie, indécision sur le sort des dirigeants, absence de communication générant les fantasmes les plus délirants et conduisant, au bout du compte à des dégâts considérables pour l’entreprise absorbée. Dans une telle situation, qui s’est reproduite à plusieurs reprises, ce qui pose problème c’est le déterminisme pathologique malgré les analyses correctes faites chaque fois à posteriori et les fermes résolutions de ne plus recommencer. Il y a bien un « inconscient institutionnel » |
1.4. pathologie et management
Il n’y a pas, cependant, de liberté possible sans une clarification forte de ses propres comportements. L’analyse stratégique, encore elle, introduit avec bonheur la distinction entre la tache, concept formel de l’activité à accomplir et le rôle, c’est à dire l’appropriation concrète de cette tache par un acteur. A la notion d’organisation se substitue celle de réseau d’actions concrètes qui constitue la cartographie implicite et souvent inconsciente des relations dans l’entreprise. Ce réseau vient se télescoper avec le réseau institutionnel générant incompréhensions, conflits, malentendus, ambiguïtés…
Il paraît évident que ce réseau est infiltré et même largement déterminé par les pathologies individuelles. Complémentarités et symétries façonnent les interrelations et structurent l’organisation implicite. Le système est contraint et trouve un équilibre inconscient qui a toute chance d’être pathogène (dans la mesure où il reste en deçà de toute analyse par les acteurs eux mêmes) mobilisant une grande part de l’énergie disponible pour maintenir son équilibre.
Etre au clair avec ses problématiques, c’est à dire questionner à tout moment ses comportements, ses répétitions est une urgence du manager. On perçoit dès lors l’intérêt d’un travail sur soi dans une situation d’interaction où puisse se jouer spontanément les situations de l’entreprise.
Tout cadre a fait, un jour ou
l’autre, l’expérience de participer à l’un des nombreux stages de management,
de communication ou de créativité qui fleurissent aujourd’hui, signe,
d’ailleurs, qu’il existe un besoin, encore insuffisamment élaboré, mais réel
même s’il se satisfait de l’illusion. Il en revient toujours rempli d’une
certaine exaltation et d’une bonne volonté touchante pour retomber toujours
dans la répétition. Qu’il est facile alors de mettre en cause l’institution
elle même qui résiste au changement afin d’éviter de voir et de questionner sa
propre résistance !.
1.5. Vers une approche plurielle
Ce questionnement n’est pas simple pour peu que l’on se pose le problème de l’inconscient.
Le constat de ses dysfonctionnements comportementaux est une étape indispensable mais tout à fait insuffisante si elle ne s’accompagne d’une compréhension profonde des enjeux : enjeux collectifs majeurs pour l’entreprise dans la mise en évidence de ses répétitions institutionnelles mais aussi, et plus profondément, enjeux individuels inconscients qui nourrissent les répétitions personnelles surdéterminant ainsi la névrose d’entreprise .
En tout état de cause, le problème
du changement n’est pas trivial et l’accompagnement doit se faire par un
travail à plusieurs niveaux qui touche au plus profond de l’être. Le lieu de ce
travail et la capacité des intervenants est déterminant pour assurer à la fois
l’existence et la profondeur du changement. Toute intervention maladroite ne
fait que modifier l’équilibre des résistances à travers le réseau de systèmes
complexes et imbriqués où s’insère l’individu sans modification notable de leur
équilibre. Le masque se fait alors plus épais : l’expérience de la
résistance devient alors une résistance.
2. L’intervention psychologique dans l’entreprise : vers un modèle groupal
La métaphore corporelle Les corps constitués, les grands corps d’états, le corps des ingénieurs des mines, le corps social, le corps du délit… la langue n’est pas avare des métaphores biologiques prétendant donner, ainsi, une unité de fait bâtie sur une coordination harmonieuse dans le déni du prix qu’il faut payer pour cette apparente harmonie : fracture, exclusion, rigidités, illusions, tensions. Tant il est vrai qu’un équilibre est une construction permanente entre un système immunitaire délimitant impitoyablement l’extérieur de l’intérieur et le principe symbiotique du couplage structurel des systèmes en interaction. Il y a un travail permanent du « corps » à mener. |
Les systèmes humains sont multidimensionnels. Ils s’inscrivent au cœur d’un réseau complexe de systèmes qu’ils façonnent et qui les façonnent :
– la réalité biologiquecar le corps est un formidable appareil à détecter et à matérialiser les tensions, où se concrétise et se donne à montrer, pour qui sait le lire, le mal être,
– les appareils psychiques, phénomènes émergents à partir de la complexité essentielle des corps (et donc quelque part déterminé par le corps),
– le groupe, les organisations familières où s’insère l’intersubjectivité (famille, entreprise…)
– l’espace social comme générateur de contraintes (principe de réalité) et support des projections (l’imaginaire)…
Découper ainsi l’espace hypercomplexe en systèmes emboîtés même fortement couplés est, de fait, une simplification infiniment réductrice. Il n’en demeure pas moins qu’une approche stratégique du changement peut et doit prendre en compte ces dimensions par des interventions articulées.
L’importance du choix du dispositif est fondamental. Ce dernier doit impérativement offrir un repère pour un travail sur l’ensemble de ces dimensions tout en facilitant l’émergence des problématiques.
Les phénomènes « archaïques » dans l’entreprise Les entreprises, comme tous les groupes, sont « travaillées » par des phénomènes très archaïques. Ils sont, en général, repérables par le trop « massif » et l’imperméabilité à tout discours rationnel. Ainsi, dans cette entreprise qui vient de racheter une petite société menant un type d’activité complémentaire perdurent, près de trois ans après, chez les uns comme chez les autres de tels fantasmes : nous sommes les meilleurs, ils ne comprennent rien à notre métier, ils sont en train de liquider nos spécificités, ils n’ont aucun sens de la réalité du marché… est il si téméraire de repérer des fantasmes de casse, de grandes fusions exaltantes, voire des scènes primitives tout à fait étonnantes (le comité de Direction , papa, maman, ont fait du bruit hier soir, qu’ont ils pu bien faire sans nous ?…) |
2.1. Le vertige des psychologies instrumentalisées
Le rêve secret du manager est de pouvoir maîtriser l’intersubjectivité à travers une psychologie complètement instrumentalisée. Ce rêve qui prend appuie officiellement sur le désir d’une possible optimisation des ressources de l’entreprise, n’est autre que la version contemporaine du mythe Faustien d’une toute puissance possible. Le patron, en position de maîtrise, assure le contrôle absolu de ses collaborateurs gérant conflits et souffrances qui constituent pour lui les scories inutiles de la grande machine à produire. Aveugle aux dégâts qu’il cause, il l’est tout autant aux dégâts qu’il se cause. Le fantasme d’une position neutre, parfaitement objective est bien sur intenable. Elle l’est, d’abord, logiquement : en évacuant la subjectivité au profit d’une maîtrise rationnelle généralisée des comportements, on aboutit à un système de contrôle réciproque parfaitement figé. Plus fondamentalement pour le manager, la tentation d’évacuer le désir en introduisant un déterminisme absolu, ne pourrait conduire qu’à la surdétermination des rapports entre les hommes et interdire, ainsi, tout émergence du nouveau (ruinant bientôt tout développement du marché!).
Chaque jour, le manager est confronté à des problématiques psychologiques: démotivations, agressivité ou passivité, perversions, dépression, absentéisme symptômes de souffrances inutiles qui gênent le fonctionnement collectif. Ces « anomalies » ne peuvent trouver sens que dans l’acceptation que l’homme qui produit est, aussi, un sujet désirant: dans « les temps moderne », Charlot dérègle par sa poésie propre le bel ordonnancement taylorien. Parce que tous les acteurs sont partis prenantes et que les dysfonctionnements se construisent à partir de l’équilibre des interactions pathologiques, aucun ne peut prétendre se tenir en dehors du processus de clarification. Evidemment, il convient aussi de se demander ce qui se partage réellement dans cette collectivité qu’est l’entreprise, ce qui rapproche les hommes…ou ce qui les sépare (il faudra, bien, un jour, évoquer le problème du sens).
Ainsi, il faut faire avec la subjectivité. Bien mieux, il faut faire avec la subjectivité des autres. Dès lors, en réintroduisant les déterminations multiformes des rapports entre les hommes, on réintroduit la nécessité d’une clarification. Ce travail doit nécessairement prendre en compte, les composantes individuelles (intrapsychiques) et inter individuelles (interpsychiques).
Idéalement ce processus de clarification doit s’inscrire dans un dispositif capable d’assurer une lecture des phénomènes.
Il doit pouvoir être interprétable c’est à dire être décrypté à travers une théorie (ou un ensemble théorique consistant et non contradictoire).
L’ensemble dispositif/théorie doit être opérationnel. C’est à dire qu’il doit induire des changements positifs. Il ne s’agit évidemment pas du même type d’opérationnalité que celle que nous dénoncions plus haut mais plutôt de la mise en place des conditions nécessaires à une nouvelle croissance à travers l’expérimentation d’une dialectique intersubjective.
2.2. Le dispositif
L’entreprise est d’abord une collectivité orientée vers un objectif. Il est dès lors tentant de développer une approche par les groupes. Encore faut-il s’interroger sur ce qui fonde et caractérise un groupe.
2.2.1. le groupe comme système autonome
Une collectivité d’individus ne forme pas systématiquement un groupe. Intuitivement, on mesure bien les différences entre une foule, une tribu, un groupe. Aussi, est-il nécessaire de s’intéresser à un critère de groupalité.
Nous avons signalé plus haut l’importance de la dimension systèmique dans laquelle s’inscrit tout être humain à la fois comme produit de différents systèmes mais aussi comme composant de systèmes plus vastes.
F.Varela (1989) a développé avec rigueur une approche des systèmes autonomes. Le paradigme de l’autonomie introduit d’une manière pertinente à la caractérisation d’un groupe.
Pour Varela, un système autonome est un système opérationnellement clos, c’est à dire que :
« ….son organisation est caractérisée par des processus :
- dépendant récursivement les uns des autres pour la génération et la réalisation des processus eux même et,
- constituant le système comme une unité reconnaissable dans l’espace (le domaine) où les processus existent. »
Il ajoute :
« lors de la description de la clôture opérationnelle, rien n’empêche l’observateur de faire lui même partie du processus spécifiant le système, non seulement par sa description du système, mais encore comme étant l’un des noeuds du réseau de processus qui définit le système. »
On dira, donc, qu’un groupe est une collection autonome d’êtres humains (eux même à considérer comme systèmes complexes). C’est à dire en fonction de ce qui est dit plus haut :
– en situation de contraintes structurelles mutuelles,
– opérationnellement clos pour les « productions » du groupe (les « productions » dépendent de l’objectif que s’assigne le groupe).
Dans ces conditions, un groupe analytique est un groupe dont l’observateur, partie intégrante du groupe, est un psychanalyste. Les opérations (récursives) du groupe sont, alors, les productions habituelles à une relation analytique : transferts, projections, identifications…..
2.2.2. Groupe et entreprise :
A ce référer à la définition ci-dessus, une entreprise, dans une organisation traditionnelle, ne saurait constituer un groupe, ni même d’ailleurs, une réunion de groupes au sens stricte mais plutôt une collection de groupes « faibles » c’est à dire de groupes labiles où l’absence de dispositif contenant ne permet pas de satisfaire la condition de clôture opérationnelle. En effet, services, équipes, départements ne sont jamais des systèmes fermés et les problèmes lourds se traitent le plus souvent à travers la mobilisation de ressources externes (en particulier, la hiérarchie)…et ne font retour dans l’unité que sous une forme symptomatique inanalysable.
Cependant, les « projets », dans les organisations par projet, se rapprochent singulièrement de la définition que nous avons été amenés à en donner. La question de l’élucidation de leur fonctionnement se pose effectivement à l’intérieur de l’unité autonome qu’ils peuvent constituer avec une approximation raisonnable.
Ainsi peut on retenir que :
– l’entreprise est une collectivité partageant (plus ou moins) des objectifs, une stratégie, une culture,
– elle est hiérarchisée et les places fixées par l’institution peuvent être plus ou moins investies, plus ou moins infiltrées par la subjectivité des individus (les « rôles » pour la sociologie des acteurs),
– elle s’organise en sous groupes plus ou moins stables partageant des objectifs partiels à travers lesquels vont s’exprimer, plus ou moins clairement, les aspirations, les désirs des acteurs.
– dans le cas des organisations par projet (particulièrement à la mode en ce moment compte tenu d’une efficacité reconnue), le « projet » constitue stricto sensu un groupe.
Cependant, et dans tous les cas, même si l’hypothèse de clôture n’est pas complètement satisfaite, le groupe apparaît comme la meilleure approximation pour travailler les situations d’entreprise.
Ainsi, le dispositif à mettre en place doit permettre d’expérimenter concrètement les divers interactions:
– les résonances intrapsychiques et interpsychiques (hypothèses de couplage structurel),
– les dynamiques groupales (intra et intergroupales) (hypothèse de clôture en première approximation).
L’hypothèse de couplage rend pertinente les incursions vers les problématiques individuelles lorsqu’elles sont structurantes pour la collectivité. De telles incursions doivent être encadrées par des règles éthiques librement admises par tous et guidées par le respect des libertés et des peurs de chacun.
2.2.3. Une théorisation
Il s’agit, bien sur, de rendre compte à la fois de l’articulation entre l’intrapsychique et l’interpsychique (constitution d’un système autonome irréductible à ses composants), et des phénomènes intragroupaux (au delà de la dynamique du groupe, des interactions entre les sous groupes se constituant).
Le « couplage structurel » (au sens de Varela pas de Bion !) entre les mondes intrapsychiques qui, en se contraignant mutuellement créent cette unité autonome qu’est le groupe, va trouver une interprétation naturelle à travers les concepts de groupalité psychique et d’appareil psychique groupal (R.KAES).
Du point de vue de certains psychanalystes, les groupes semblent favoriser les états régressifs, induisant des états « psychotiques » : mécanismes de défenses archaïques s’appuyant sur le clivage, l’ambivalence, l’identification projective, l’importance de l’agressivité (pulsion de mort, rôle du négatif). Une lecture possible de ces phénomènes peut s’effectuer à travers la dialectique jamais achevée des positions primitives élaborées par M.Klein. Bion a développé une première théorisation à travers les présupposés de base. ANZIEU et KAES ont proposé une tentative de métapsychologie groupale : les groupes internes se construiraient à partir des sédimentations des relations d’objet, en particulier les plus anciens et ce sont ces formations qui seraient susceptibles d’être réactivées par « excitation » mutuelle.
Pour résumer, l’appareil psychique groupal naît du « couplage structurel » (F.Varela) des individualités qui constituent le Groupe. La résonance des psychismes individuels permet, par un partage possible des scénarios personnels, l’activation de « comportements propres » ou organisateurs psychiques. Lorsque le groupe se stabilise autour d’un tel point singulier, c’est qu’il s’établit une cohérence à partir des problématiques individuelles. Le groupe peut alors autoriser un travail personnel autour du thème qui se partage.
En particulier, les fantasmes originaires (fantasme des
origines, castration, séduction) sont des candidats privilégiés pour devenir
les prototypes des groupes internes. Ils peuvent, alors, organiser
l’inconscient groupal en proposant à chacun de ses membres de prendre une des
places assignées par le scénario. Ces rôles vont offrir un lieu privilégié pour
les investissements pulsionnels refoulés. Ces derniers se font, se défont en
fonction d’une logique identique au processus primaire (déplacement,
condensation…).
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