J’ai honte de parler d’ « un » séminaire d’equi coaching tant chaque séminaire est singulier et amène sa part de surprise, d’inattendu, de vie quoi…et celui-ci fut riche malgré des circonstances un peu particulières.
Il s’est, en effet, déroulé devant les caméras de télévision en vue d’une intégration dans un documentaire sur le coaching pour France 5. Impossible, donc, de ne pas tenir compte des effets d’inhibition ou au contraire d’exhibition provoqués par ce regard omniprésent. Une contrainte, donc, mais qui débusque, aussi, des niveaux de travail qui n’auraient pu surgir sans cela : « là ou croit le péril, croit aussi ce qui sauve » (Hölderlin).
Pas simple de s’engager devant des caméras ! Et, pourtant, à peine le séminaire commencé, l’intensité s’est invitée. L’enjeu de la première heure est toujours fort : il s’agit, dans la dynamique du groupe, de dépasser la plainte pour pouvoir formuler un embryon de demande exploitable et clarifier une difficulté.
Car l’equi coaching est d’abord et avant tout coaching : il ne s’agit, donc, pas de lancer à l’aveugle des exercices pour voir ce qui se passe mais bien d’élaborer, pour chaque personne singulière, dans l’équilibre d’une problématique générale partagée par le groupe, son hypothèse de travail pour le séminaire.
Or la première seconde du séminaire s’est révélée déterminante : personne, y compris moi n’avait de montre et l’horloge de ma salle de travail était en panne. D’emblée, le problème du temps s’est imposé pour ce groupe-là dans une perspective d’une demande de travail sur la relation, la distance, la prise de place, l’intensité de la présence: temps pour dire les choses, temps de la demande, temps de l’entrée en relation, de l’entrée en présence, rythme, intensité, respiration pour laisser une place à l’autre….
Or le temps est l’une des dimensions fondamentales de l’équitation. Et c’est inconsciemment, sans faire encore le lien, que j’ai proposé de regarder une courte vidéo du grand Ecuyer Nuno Oliveira. Il devient éclatant que la relation du cavalier avec le cheval s’inscrit dans une temporalité particulière avec un temps d’installation de la relation, tout travail du cheval est un travail consenti, et un temps rythmique d’intensité et de repos, diastole, systole, prendre, rendre, caractéristique de la cadence, de l’équilibre, de l’impulsion, temps où se noue la danse éphémère de l’art équestre, temps juste de l’attente et de la demande, de la demande et de la réponse, temps de l’étonnement qui se suspend dans l’élévation, la suspension: ce kairos grec, le temps qui touche au cœur, le contraire du temps vulgaire, celui de la mesure et de la gestion du temps. Car l’art équestre ce n’est que cela mais tout cela : comme la calligraphie ou l’Aikido, la trace éphémère d’une respiration, d’un souffle, de l’intonation de deux énergies qui se donnent l’une à l’autre. Autrement dit le temps vivant de l’intensité de la présence qui est une autre face du problème groupal apporté. Faut il rappeler que Présence, Prae sentia, c’est la tenue au devant de soi, c’est à dire une autre manière de dire ex-sister.
Tout cela va prendre sens dans les trois courtes vignettes cliniques ci-dessous :
François*, vit, dans sa vie personnelle, une fin de relation difficile. Nous lui proposons, donc, un exercice dont la première séquence est la prise de contact avec l’animal. Or, cette prise de contact avec le cheval qui lui est confié est tellement intrusive, sans ce tact équestre minimal nécessaire, que le cheval commence à faire connaitre son agacement. François n’a pas pris le temps de vérifier que le cheval était d’accord, il a multiplié les demandes de plus en plus pressantes… A cet instant l’autre n’existe plus pour lui…il est seul dans sa propre temporalité et il en récolte les conséquences….Il ne peut pas ne pas faire le lien avec ses propres difficultés….
Adèle*, elle, négocie avec le cheval : elle le câline dans l’espoir qu’il se montrera coopératif dans le travail. Elle n’est pas à la bonne distance et le cheval le lui fera savoir massivement en étant toujours sur elle à la bousculer « affectueusement »…plus de relation équilibrée possible, plus de place pour l’échange sauf celui imposé par le cheval, mais une fusion étouffante dont elle ne sait plus comment se dépêtrer…
Et puis il y a Marie*, qui prend conscience qu’elle a choisie de construire autour d’elle une bulle de confort comme elle dit, un cocon protecteur. Engagée dans le travail en liberté elle va prendre un risque et toucher, avec l’aide du groupe, le plaisir d’engager tout son corps dans l’action…elle se sent vivante et peut vérifier que le cheval suit en s’impliquant avec une nouvelle énergie dans l’exercice demandé. Quelle expérience ! non seulement on peut prendre un risque sans être détruit mais en plus en éprouver un plaisir indicible, celui de se sentir centré, en lien avec l’animal qui maintenant se donne !
Je pourrai parler aussi de Catherine, qui installe une relation adéquate avec le cheval mais qui va la détériorer en vérifiant constamment que ça marche, qu’elle fait bien, qu’elle fait ce qu’il faut, demandant encore et encore, générant ainsi de l’insécurité et de l’agacement…
Je pourrai prendre, un par un, chacun des huit stagiaires dans son problème propre : et, dans un temps où s’invite la finitude, donc, l’urgence, le rapport à l’enfant qu’ils ont ou qu’ils veulent avoir. Est-il encore temps ? Combien de temps il me reste ? Quel temps je lui accorde ? Ne va-t-il pas m’échapper dans son temps propre ?….
Le travail avec le cheval a mis en acte les difficultés de chacun sans qu’il soit toujours possible d’en avoir une pleine conscience. En effet, l’expérience pure est insuffisante : elle doit être élaborée, verbalisée pour être intégrée dans un nouveau réseau de sens. Et il faudra bien une heure et demie de dynamique de groupe pour permettre à chacun de mettre des mots, de faire des liens à partir des expériences équestres.
Même si ce ne peut être que le début d’un long chemin, ce stage a permis pour certain une mise en mouvement, pour d’autres une impulsion nouvelle toujours bienvenue, il faut se souvenir, tous les navigateurs et les cavaliers le savent, qu’il est impossible de manœuvrer un bateau, un cheval qui n’avance pas, pour retrouver de l’air, il faut de l’erre! C’est, donc, seulement à partir de l’instant de la mise en chemin qu’un travail peut commencer!
Ce qui est fascinant, ici, c’est de voir comment la problématique du temps qui s’invite à la première seconde du séminaire va organiser les problématiques de chacun sous un angle de vue neuf, inattendu, qui n’a rien à voir avec la plainte amenée. Ce qui s’invite ici, c’est le prix à payer pour être vivant car pour que l’homme puisse vivre en propre il doit s’accepter comme pure possibilité, pure liberté. Là est le risque du choix: si je veux vivre, je dois mourir à chaque instant. Ce travail est rendu possible, ici, car le cheval représente particulièrement bien la vie dans sa plénitude, dans son énergie et dans son fondement animal ! Un exemple de fonction métaphorique du cheval qui stimule le fantasme !
Cela fait bientôt un siècle qu’Heidegger a pensé le lien puissant entre l’être (l’avoir à être) et le temps authentique, celui de l’intensité de l’instant ! Etre en propre, laisser surgir la vérité de l’Etre dans cette ouverture qui est ma responsabilité mais qui me met face au vertige du sans fond, ou plutôt d’un fond toujours à questionner, à déconstruire!
Et, pour conclure ce séminaire intense, je ne peux m’empêcher de citer René Char dont la relation apaisée au temps pointe bien, me semble-t-il, les enjeux du travail que nous avons tous engagé:
« Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l’aima?
Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L’espace qu’il parcourt est ma fidélité. Il dessine l’espoir et léger l’éconduit. Il est prépondérant sans qu’il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas? «
Lucien lemaire
École Européenne d’Hippo coaching et Coaching à médiation Corporelle (www.hippocoach.org)
Centre Equestre Les Grandes Terres Eygalières
* les identités ont été modifiées