Si, comme moi, vous avez une expérience de manager, il ne fait aucun doute que vous avez participé à nombre de formations en communication, en management ainsi qu’à des séminaires variés de team building.
Soyez lucide ! Qu’en reste-t-il en retour de vos unités respectives ? Au bout du compte pas grand-chose, à part un espace de décompression un instant offert et quelques relations inter personnelles qui se sont nouées ici ou là. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas grand-chose au regard de l’ambition affichée dans ces séminaires.
Le retour sur expérience, sous la pression du terrain, est quasi nul. Il y a ceux qui appliquent sans discernement « la » méthode et qui font sourire tout le monde, et les autres qui re plongent, parfois avec jouissance, dans leurs vieux démons.
Avez-vous remarqué, que dans toute réunion, y compris celles qui se déroulent au plus près des meilleures doctrines en matière d’animation, il se trouve toujours quelqu’un, au moment de conclure, pour vous interpeller et reposer le problème des objectifs que vous aviez pourtant pris soin de faire scrupuleusement valider.
Est-ce que cette personne serait plus bête que les autres ? Attention ! si vous répondez oui, demandez-vous si cela ne vous ai jamais arrivé ! Mais bien sûr, vous, c’était justifié !
Comment comprendre cette impuissance et, surtout, en sortir ?
En tout cas, l’observation, sans a priori, met en évidence que ,derrière ces démarches rationnelles d’organisation de la coopération, se tiennent en embuscade de bien étranges forces destructrices.
Cher Coach, nous allons devoir cheminer quelques paragraphes sur le chemin aride de la théorie. Mais que serait une pratique qui ne saurait expliciter ses fondements !
L’apport de W.Bion :
Wilfred Bion est un psychiatre et psychanalyste anglais dont les travaux ont révolutionné, en leur temps, la psychanalyse. Il a fait avancer d’une manière significative la compréhension analytique des phénomènes très archaïques, de la psychose, des processus de pensée…et des groupes.
Ces différents thèmes entretiennent des liens forts entre eux puisque le groupe, par exemple, mobilise des émotions très archaïques et produit des peurs d’anéantissement et de dissociation proches des processus psychotiques. Mais, il n’est pas question pour moi de développer une pensée aussi complexe et aussi riche en quelques lignes.
De toute façon, j’aurais à y revenir, à petites touches, quand je développerai les approches corporelles car la fonction de métabolisation des affects (fonction alpha) vers la symbolisation est l’une des pistes de compréhension les plus simples.
Psychiatre militaire, il eut à traiter les névroses de guerre. Le trop grand nombre de patients interdisait la psychothérapie en tête à tête et c’est pour faire face à cette difficulté qu’il commençât ses expériences avec des groupes.
Le cœur de sa découverte sur les groupes est d’une simplicité biblique :
Dans tout groupe, il existe, toujours et quel que soit l’ancienneté du groupe, deux niveaux de processus :
- Un niveau de processus rationnels orientés vers la réalisation de la tâche. Il lui donnera le nom de groupe de tâche
- Un niveau de processus inconscients et destructeurs : le groupe de base.
Aussi dans tout travail collectif, les deux niveaux coexistent toujours.
On peut bien sûr se demander pourquoi de tels processus destructeur sont à l’œuvre et quel est l’enjeu du groupe de base.
J’y reviendrai plus en détail plus loin mais dans une première approximation, chacun peut comprendre qu’il s’agit de sa place dans le groupe et qu’il a à gérer un équilibre entre la fusion (le tout avec) et le rejet (le tout seul). Et que cet enjeu, est, en soi, terrifiant.
La filiation de Bion : l’apport d’Ophélia Avron :
L’homme est un animal social. Il ne peut vivre seul et a besoin de créer du lien.
Dit autrement, en terme psychanalytique : dans les groupes la seule dynamique libidinale échoue à rendre compte de la richesse de la dynamique groupale et des transformations psychiques puissantes qu’on y repère chez les acteurs.
Didier Anzieu note dans sa riche préface à « La pensée Scénique » (Ophélia Avron, 1996) « La pensée scénique est le postulat d’une pulsion d’inter-liaison, c’est-à-dire assurant une liaison entre les membres du groupe sous forme d’une provocation énergétique mutuelle et réciproquement entretenue (c’est nous qui soulignons). Cette pulsion d’inter-liaison psychique répond à une nécessité structurelle d’ouverture et de transformation des psychés les unes par rapport aux autres ».
Ainsi, Ophelia Avron repère dans la pensée scénique la dialectique toujours à l’œuvre des pulsions de satisfactions libidinales et de celles créatrices de lien :les pulsions d’inter-liaison.
Cette dialectique n’est pas sans rapport avec Eros et Thanatos, pulsion de vie, pulsion de mort puisqu’ici aussi s’affrontent des pulsions qui tendent à la décharge et des pulsions qui œuvrent à la création de lien et qui peuvent coopérer, l’intrication des pulsions, ou au contraire se combattre.
D’ailleurs, Ophelia Avron en fait un processus archaïque de régulation, plus fondamental encore que le refoulement et les mécanismes de défense, entre des pulsions tendant à la satisfaction au prix, éventuel, de la destruction de l’objet et un processus constructeur de lien.
Dans ces conditions, le groupe va constituer, de par son dispositif propre, une matrice, un référentiel qui va permettre au thérapeute, comme le dispositif analytique pour le transfert, de repérer, à travers ses propres ressentis, les variations et avatars des deux groupes de pulsion.
La pulsion d’inter liaison s’invite par « l’effet de présence », c’est-à-dire cet effet rythmique particulier, émetteur/récepteur, qui ouvre deux êtres à la présence l’un de l’autre.
Ainsi, l’équilibre entre les pulsions libidinales (qui ont tendance à se décharger) et les pulsions d’inter liaisons vont créer un champ de force, champ vectoriel qui va contraindre la dynamique du groupe. Ce champ peut aussi se voir, de la même manière qu’Einstein a subverti le champ de gravité en géométrie de l’espace-temps, comme une géométrie dynamique du groupe qui construit les lignes de forces en fonction de l’intensité des pulsions en jeux.
Toutes ces variations « énergétiques » conduisent à une dynamique émotionnelle et fantasmatique qui constitue la dramatisation scénique et alimente les fantasmes groupaux.
Le thérapeute fait évidemment partie intégrante de ce champ de force : à la fois, il en perçoit et en modifie, par sa présence propre, les lignes de champ.
La perception instantanée de ces lignes et de leurs avatars, lignes de force, clivages, ruptures, stases…renseigne d’une manière instantanée sur l’état du groupe et en propose une compréhension.

And so what… :
Je me demande si, toi, coach, tu as eu le courage de me suivre jusqu’ici. Mais ces méandres théoriques ont été nécessaires pour fonder et comprendre une approche énergétique des groupes particulièrement intéressante pour le horse coaching.
Ce qu’il faut en retenir pour la pratique, c’est que « L’atmosphère » du groupe, la stimmung (dirait un phénoménologue), renseigne à tout moment sur son état et ouvre une possibilité de mobiliser le groupe de base, seule manière de dépasser, en les élucidant, les processus destructeurs.
Mais pour ce faire, tout dispositif de Horse coaching d’équipe doit mobiliser l’équipe dans un dispositif collectif qui seul permettra de faire ressortir les deux niveaux de travail. nous avons dans notre besace beaucoup d’exercices très riches. J’en décris quelques uns dans on ouvrage « Le cheval coach quand le corps parle ».
Il est temps maintenant de produire notre traditionnelle vignette clinique.
La scène se passe au sixième jour d’un cursus de formation à l’hippocoaching qui en comptait 9 en ce temps-là. Le cahier des charges que j’avais donné au groupe de 6 personnes, était de construire, à partir de ses acquis et d’éventuelles demandes raisonnables de formation, et de produire publiquement un spectacle équestre d’une demi-heure. Ils avaient, donc, plus de deux jours pour se préparer et pouvaient, s’ils le souhaitaient, demander des séances de régulation.
Au bout de deux heures, à mon grand étonnement, l’affaire semblait pliée et le groupe est venu me voir se disant prêt à montrer sa création. Fort étonné de cette célérité inattendue, nous les prenons au mot. L’atmosphère était morne, sans énergie et sans entrain et le travail montré en cohérence avec l’ambiance du groupe, sans créativité, sans forme, sans rythme : un océan d’ennui dans lequel je ne tardais pas à me noyer !
A groupe mou, cheval mou !!
Nul n’étant tenu à périr d’ennui, j’arrêtais le massacre et je choisis (il y a d’autres manière de faire) de réunir le groupe pour une séance d’élaboration.
Je proposais à leur sagacité quelques questions : qui a pris la responsabilité du groupe ? Comment se sont-ils organisés ? Comment ont-ils identifiés et valorisés leurs talents ? Comment ont-ils travaillé leur créativité ? Comment ont-ils construit la scénographie ? qui a réglé la mise en scène et le travail équestre ? Comment ont-ils planifiés leur préparation ? Comment ont-ils régulé l’équipe ?…..
Non seulement, aucune de ces questions n’avait un embryon de réponse mais surtout elles n’avaient même pas été posées !
Apres quarante minutes de travail de dynamique de groupe, il est vite apparu que le pacte inconscient était de se débarrasser au plus vite de la tache afin de ne pas provoquer de conflits de leadership risquant de mettre en péril l’unité pourtant factice du groupe.
La survie du groupe en tant que tel, et ici en tant qu’illusion groupale, est devenu l’enjeu majeur avant même la réalisation de la tache dans un contexte ou la certification pouvait être en jeu !
Ainsi, le groupe de base avait occulté le groupe de tâche.
Et la suite alors : L’élucidation laborieuse et toujours douloureuse des processus inconscient a provoqué une libération d’énergie qui a permis de produire deux jours plus tard une prestation pleine de vie, d’humour et…. de bruitage.
Dans cet exemple, on voit bien que l’enjeu n’est pas le processus rationnel (les questions) mais l’élucidation des mécanismes de défense et des enjeux fantasmatiques pour chacun au sein du groupe : si j’avais cédé à la tentation de fournir de la méthode, jamais je n’aurais pu débloquer la situation et j’aurais encore renforcé leur résistance en leur donnant à la fois l’alibi et l’outil.
Et le rôle du cheval dans tout ça ? A-t-il eu un apport spécifique par rapport à d’autres médiateurs.
Sans aucun doute et à plusieurs niveaux :
- Il a été le fidèle révélateur de l’état énergétique du groupe (à groupe mou, cheval mou!)
- En tant qu’altérité radicale, il a obligé le groupe à choisir : s’engager ou se démettre (ils ont choisi la démission !)
- Bien que cela n’apparaisse pas dans mon récit, Il a servi de support fantasmatique au groupe et aux individus dans le groupe dans le jeu des différentes natures de pulsion : satisfaction solitaire et immédiate des uns, objet de séduction fusionnelle pour d’autres et, parfois, rejets et terreurs archaïques… .
- Il est aussi un animal de relation et pris comme tel dans l’effet de présence : A groupe anarchique, cheval anarchiste
Il faudrait un livre pour élaborer le plus complétement possible dans cette courte expérience tant est riche le dispositif équestre bien utilisé dans le coaching d’équipe !
Pour aller plus loin:
Avron, O. (2012). La pensée scénique. ERES.
Un ouvrage de référence sur le psychodrame et les groupes analytiques par une grande dame de la psychanalyse