Me voilà de retour d’un petit séjour à Vienne, cette ville au passé glorieux et qui fut sans aucun doute la capitale de la culture dans les premières années du XXe siècle : on pouvait croiser sur le Ring, Freud, Wittgenstein, Hayek, Klimt, Egon Schiele en passant par Stefán Zweig !
Comment, lorsqu’on est hippocoach, visiter Vienne sans se rendre à l’École Espagnole, C’est comme visiter Rome pour un catholique sans se rendre au Vatican ! Cette admirable institution perpétue la tradition équestre depuis 1565 sans céder sur la rigueur et l’engagement ! Je n’ai pu assister au spectacle dont les dates ne coïncidaient pas avec mon séjour, mais je me suis rendu à l’entrainement public du matin et ce fut, malgré le froid vif, un enchantement de tous les instants et une belle leçon de coaching et de pédagogie du coaching.
D’abord le manège est somptueux et l’entrainement se fait en musique (des valses viennoises, bien sûr). Ce n’est pas anecdotique : soigner les entours comme dit Jean Oury, créer les conditions d’une ferveur, d’un recueillement en accord avec le travail : voilà l’enjeu. Il ne s’agit pas de n’importe quel travail : faire advenir à la plus belle expression possible un cheval et un cavalier, suspendre le temps par la beauté et la sobriété du geste, faire advenir ces secondes magiques où le temps se suspend dans la forme parfaite qui surgit comme cela du rien, comme dirait Maldiney, c’est-à-dire de l’infinité des possibles, de l’informe qui est l’autre nom du Chaos !
Mais si, comme cela, des instants magiques viennent nous saisir, ils n’arrivent pas complétement de nulle part mais sur un terrain soigneusement, minutieusement, patiemment, préparé!
D’abord ne pas nuire comme dirait Hippocrate, pour le cavalier-coach, se faire oublier dans sa présence indispensable, drôle de paradoxe, mais c’est le cœur, incontournable, du travail !
Les cavaliers que je vois évoluer montrent une position parfaite : jambes fixes et descendues (ils chaussent très long) qui ne rentrent en contact qu’au moment ponctuel de l’action, le souffle de la botte, toujours précise, mains fixes, juste le le poids du cuir, et surtout, assiette solide, ce qui veut dire souple dans l’accompagnement du cheval.
Tout cela n’est pas magique : 6 à 8 ans de formation pour passer du statut « élève » à celui d’apprenti « cavalier ». Chaque séance commence par une demi-heure de mise en selle sans étrier à la longe, tant pis pour l’ego, et, oui , pendant six ans, avant de commencer l’instruction avec des chevaux « professeurs ».
Après cette période, si l’élève en est jugé digne, il va commencer son apprentissage de cavalier qui va durer encore six à huit ans. Il se voit confier un étalon qu’il a la charge d’éduquer !
Seize à dix huit ans pour former un cavalier….
Je les ai vu, ces « cavaliers « , travailler les jeunes chevaux : pas de bluff , la base, uniquement la base, « calme, en avant, droit », avec une grande liberté : pas la moindre tentative d’épaule en dedans ou d’arracher un air de haute école, asseoir les fondamentaux, les bases physiques et psychiques, à partir desquels les chevaux pourront aller très loin dans l’aisance, le respect de leur physiologie et de leur psychologie.
« Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup ».
Un cheval commence à travailler à 3 ans et son éducation va durer six ans : c’est, donc, à 9 ans, seulement, qu’il pourra être présenté en spectacle » ! Diable, diable, voilà qui est à contre temps: la temporalité de l’art (équestre) n’est pas celle de facebook!
Alors cheval et cavalier auront construit une identité solide, appris le respect mutuel, le plaisir de donner, la liberté de créer pour le bonheur des spectateurs.
Ce que je veux souligner ici, c’est la rigueur de l’apprentissage, construire d’abord les bases : solidité et disponibilité en selle, discrétion des aides, position juste. Il s’agit pour le cavalier de savoir se faire oublier pour des interventions à bon escient qui prennent alors toute leur importance.
Évidemment les métaphores sont nombreuses avec le management, le coaching et la formation au coaching. J’invite le lecteur à les explorer lui-même.
Quant à moi, je voudrais insister sur la formation des coachs : trop rapide, souvent terriblement superficielle.
Dans mon expérience de formateur et de superviseur, ce sont souvent les coachs déjà formés qui ont le plus de difficultés à entrer dans une écoute ou une observation profonde, enfermés qu’ils sont dans des systèmes défensifs non travaillés et que viennent renforcer ces outillages appris trop précocement.
Je ne peux que rappeler encore une fois la belle citation de Maldiney :
« La spatialité et la temporalité de la présence ne sont pas de l’ordre de la représentation ; et, le rapport de communication n’a rien à voir avec les techniques de communication dont se prévaut notre époque, et qui sont utilisées comme des prothèses là où précisément la communication est en échec. Ce qui risque d’ailleurs de rendre permanent l’échec »
Il y a un long travail de mise en selle, humble, difficile, inconfortable, un travail de connaissance de soi, profond, à entreprendre pour polir le miroir , en faire ce miroir intelligent qui renvoie un peu plus que ce qu’il a reçu…et surtout il faut avoir le courage de dénoncer ces schémas à l’eau tiède qui s’appuient sur des processus, in fine mortifère de réassurance narcissique ce cancer moderne de l’accompagnement .
Quel que soit la tradition, c’est d’abord en s’acceptant tel que l’on est, sans masque, sans bluff (sacré chantier), en travaillant humblement en profondeur que l’on peut se construire durablement…et offrir à l’autre une aide qui ne soit pas perverse !
Au bout du compte, un petit clin d’œil Bouddhiste: l’objectif de travail, qui en détermine la stratégie, ressemble furieusement à la mise en chantier de l’octuple sentier: ce n’est sans doute pas un hasard car toute voie de « réalisation », toutes choses égales par ailleurs, mobilise les mêmes efforts!
Lucien Lemaire
Ecole Européenne d’Hippocoaching
Prochain article: Egon Schiele, le pulsionnel et la détresse originaire
Très beau texte !
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Merci!
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