Rythme, coaching et equicoaching

Pour Marcel Jousse, ce Jésuite génial et précurseur (en particulier de Francisco Varela), tout est geste et l’apprentissage est incorporation  : ce que l’enfant mime, « in-corps-pore », c’est le rythme de la chose qu’il ressent : il s’accorde au monde, il « s’intone ».

Le rythme est au cœur du jeu des énergies remarque aussi Marcel Jousse dans une forme de cycle d’hystérésis: charge, décharge, relaxation (ce que reprendra d’une autre manière Wilhelm Reich).

Selon Leroi-Gourhan ce qui caractérise l’homme c’est le « double principe de plasticité et d’incomplétude »1

.Le petit homme nait immature et son immaturité, son absence de spécialisation, dit positivement, sa polyvalence naturelle, le contraint à se poser à tout moment le problème de « son insertion dans l’existence ». Toujours, contrairement à l’animal dont l’insertion est en grande partie garantie génétiquement, il a à inventer son rapport à son milieu. Sa plasticité essentielle est ce qui lui permet cette adaptation dynamique.

Pour Leroi-Gourhan, son rapport au monde est d’ordre rythmique. Il s’ancre au plus profond du corps, la symétrie corporelle, la station debout, la marche… et les rythmes physiologiques, diastole, systole, inspire, expire, rythme digestif…Fondamentalement, essentiellement son rapport au monde est rythmique (cf. Marcel Jousse) et esthétique (cf.Henri Maldiney).

Il est particulièrement difficile d’aborder une notion aussi délicate, évanescente, mais d’une telle importance qu’elle traverse, me semble-t-il, à la fois le problème de l’œuvre d’art que celui de la psychothérapie et du coaching.

Peut-être ce rapprochement n’est-il pas un hasard et que finalement, un thérapeute exceptionnel est un artiste.

Or comme le rappelle opportunément, mais non sans questions, Henri Maldiney qui met en lien, par le rythme, les deux racines du mot esthétique : la sensation et la beauté.

« Il n’y a d’esthétique que du rythme

Il n’y a de rythme qu’esthétique »

Pour approcher le phénomène, je propose deux anecdotes.

Voici quelque temps, j’étais invité à diner, après une exposition de peinture, dans une très belle maison en haut du village où je réside, Eygalières. Cette maison avait une terrasse en pierre sèche qui s’ouvrait vers les Alpilles. Cela fait trente ans que j’habite Eygalières, 40 ans que j’habite aux pieds des Alpilles et pourtant lorsque que, un verre à la main, je m’installai sur la terrasse je fus pris d’un saisissement comme si les Alpilles surgissaient du néant dans l’intensité d’une présence que je remarquais pour la première fois. Il y avait comme une vibration qui provoquait chez moi une émotion profonde comme si je touchais à la vérité de l’Etre de la montagne. Sans doute Cézanne a-t-il connu cette émotion en méditant devant la Sainte Victoire et a-t-il compris que pour atteindre l’absolu de l’œuvre d’art c’est ce qu’il lui fallait rendre.

Comment rendre compte de cette fulgurance qui met en lien. En lien avec quoi ? En lien avec « quelque chose » qui résiste à toute approche conceptuelle, quelque chose d’universel, de vertigineux.

Au-delà de la figure des Alpilles, celle que rend une photo, la tension entre les masses, les couleurs, entre le vide du ciel qui apparait par effraction dans cette trouée du rocher et les pleins de la terre, de la végétation, surgit quelque chose d’indicible, une forme, qui fonde cette expérience numineuse d’appartenir à un tout. Cette architecture créée par l’équilibre des tensions énergétiques est le rythme.

Et ce surgissement, ce court-circuit qui vous saisit, n’est autre que la face grecque de la vérité : celle de l’Aletheïa, ce dévoilement/voilement qui s’impose comme une certitude… voilà peut-être un nom plus ancien pour l’insight de la psychanalyse !

Le rythme a à voir avec le temps, une forme de pulsation temporelle qui organise l’espace de la présence. Systole/diastole, le rythme n’est cependant pas cadence, mais justement ce qui trébuche dans la cadence pour échapper à la répétition mortifère et ouvre à partir d’un vide, d’un blanc, au radicalement nouveau.

Lors de mon dernier stage de Buto, nous devions improviser sur une musique de percussion. Pour moi je me laissai aller à la tentation de suivre la cadence hypnotique du tambour quand notre professeur intervint pour nous dire « ne vous laissez pas aller à suivre le tambour qui vous donne une fausse impression d’énergie. Trouver votre rythme »

Tout était dit de la confusion du rythme et de la cadence.

Le rythme, voilà un concept particulièrement difficile à cerner, à comprendre, mais qui se révèle d’une grande efficience, car il est de l’ordre de la sensation et, en tant que propriété émergente d’un phénomène, in-forme instantanément sur celui-ci et qui se révèle aussi d’une grande utilité à la fois dans la conduite des groupes et dans la compréhension du couple coaché-cheval.

« Le rythme désigne la forme dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide, la forme de ce qui n’a pas de consistance organique »2

J’ai eu l’occasion d’évoquer ce que j’ai appelé la clinique du rythme dans les Thérapies Analytiques et Corporelles. Il y a quelque chose d’analogue qui peut émerger du couple cavalier/cheval. Qui a vu le Maître Nuno Oliveira mettre un cheval au passage et laisser déployer cette tension énergétique sans contrainte, sans intentionnalité, sans modélisation possible du couple écuyer/monture comprend instantanément ce qu’est le rythme et comment il ouvre à la suspension du temps, à une beauté indicible et fugitive, aperception qui fait toucher à l’universel et qui peut faire pleurer sans que l’on comprenne pourquoi. Alors, le temps se ralentit jusqu’à se suspendre, comme ce temps toujours incertain de suspension ente la diastole et la systole dans lequel se joue chaque fois tout le mystère de la vie, pour laisser surgir une vérité de l’être cheval, de l’artiste équestre et du spectateur. Le spectateur ne sera plus jamais comme avant parce qu’un instant il n’était plus spectateur, mais acteur consentant du mystère qui se joue, qui se noue au-delà des mots.

Le coaché qui est entré dans le rythme s’ouvre, outre à un plaisir indescriptible, à un monde nouveau.

Le rythme s’instaure parce que le dispositif complexe introduit des rapports entre des champs énergétiques qui impliquent tous les acteurs : le coach, le coaché, le cheval, le groupe.

Dans le dispositif d’equicoaching le coaché hésite souvent entre la cadence stéréotypée d’un geste automatiquement reproduit et des gesticulations, le chaos, pures dissipations temporelles.

Quand la magie du rythme apparait alors une compréhension profonde, au-delà des explications.. Sa vérité, à ce moment-là s’impose à lui, pur dévoilement et c’est cela la réalité du changement : il a pris avec lui, il a com-pris.

Le coaching est rencontre, l’equicoaching est triple rencontre dans une triangulation improbable entre le coach-le coaché-le cheval.

Tout le travail du coach consiste alors à sentir les dissonances et à préparer le travail pour créer chez le coaché la disponibilité nécessaire au surgissement du rythme.

Le coach comme le thérapeute conduit, avec ses techniques dont il ne doit jamais être prisonnier, ce long travail préparatoire vers la vacuité, ce silence intérieur, provisoire sans doute, j’allais écrire hélas, mais qui est la condition de l’émergence de quelque chose de neuf.

Énergie, Présence, Rencontre, Transfert, Rythme sont les concepts-outils, les plus importants du coach accompli. J’entends par coach accompli celui qui peut conduire et entendre une certaine polyphonie des niveaux. Il s’agit là d’une expérience à acquérir à la fois dans les aventures thérapeutiques, les questionnements de la pratique et la confrontation théorique. Voilà les ingrédients qu’il faut doser sans relâche pour accéder à cette connaissance du troisième niveau dont parle Spinoza !

Lucien Lemaire

Bibliographie:

Bidet, A. (2007). Le corps, le rythme et l’esthétique sociale chez André Leroi-Gourhan. Techniques&Culture.

Émile Benveniste, « La notion de “rythme dans son expression linguistique », in Problèmes de linguistique générale 1, Paris, Gallimard, Tel, 1966, p. 332-335.

Court R, 1976, LE MUSICAL. Essais sur les fondements anthropologiques de l’art, Klincksieck

Maldiney Henry (1994), « Regard, Parole, Espace », Lausanne, « Lage d’homme », p147-172

Marcel Jousse – chercheur, anthropologue, pédagoguehttp://www.marceljousse.com/

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.