Nous vivons une drôle d’époque. Le monde est stone et plus que stone il est devenu au premier abord fou, fou, fou.
Comment comprendre qu’autant de citoyens, pas seulement américains, aient pu s’identifier à Trump, ce type douteux, issu des milieux affairistes et médiatiques, au point d’en faire « l’élu », l’archange grotesque qui allait nettoyer les écuries d’Augias dont il est lui-même issu.
Comment comprendre les positions massives de personnes pourtant éduquées qui dénoncent un complot mondial, le grand reset, complot ourdi par les puissances financières pour asservir l’humanité par une mise au pas technologique pilotées bien sur par les forces judéo maçonniques, les Soros, Bill Gates et autres, le tout sur fond de réseau mondial de pédophilie.
Comment comprendre les amalgames massifs envers les musulmans et l’instrumentalisation de l’horreur dans des discours sans recul qui désignent tout un pan de la population à la vindicte.
On pourrait évoquer les Raoultophobes primaires, les médias nous en donnent chaque jour l’exemple à travers des processus de disqualifications et de manipulations partisanes…en niant le travail formidable de l’IHU, en mettant en avant des études grossièrement manipulées, en désignant un seul homme alors que l’IHU c’est 700 personnes…
mais aussi les Raoultophiles massifs prompt à se regrouper sans nuance et sans recul autour de Didier Raoult.
Alors je vais proposer l’éclairage de l’analyse des comportements de groupe tel que les pensent le psychiatre et psychanalyste W.Bion*.
Il est bien évident qu’il ne s’agit que de l’une des dimensions de la question. Il ne s’agit pas d’éluder les autres : idéologiques, politiques, stratégiques, sociologiques, économiques…Comprendre une situation dans sa complexité nécessite de l’appréhender avec plusieurs lunettes et plusieurs focales. Voilà qui est dit!
Si l’on regarde attentivement les situations que j’amène, peut on faire ressortir des points communs ?
Il faut tout d’abord remarquer que les positions complotistes se veulent toutes des réponses définitives à des questions bien réelles: idéologiques, politiques, technologiques, éthiques, stratégiques …mais que justement ces questions sont éludées dans leur complexité au profit de l’appel à des fantasmes délirants simplistes et monomaniaques qui pourtant fédèrent massivement.
Que voudrait dire penser ces questions ? cela voudrait dire de les déployer dans leur complexité, d’accepter le risque d’avoir à produire une analyse rationnelle dans un dialogue authentique.
Ainsi le repli vers des positions massives peut être regardé à la fois comme une défense contre la peur de penser en adulte, d’avoir à s’assumer dans un groupe, et comme un moyen de lutter contre l’angoisse de l’incertitude en se fondant dans des positions sans nuances massivement partagées par le groupe d’identification.
Maintenant il est temps de poser le cadre conceptuel qui fonde une compréhension opérationnelle : l’analyse groupale.
L’approche analytique des groupes: W.Bion*
Psychiatre militaire pendant la seconde guerre mondiale, W. Bion avait en charge le traitement des névroses de guerre. Devant l’afflux de malades, il se rendit rapidement compte qu’un traitement individuel n’était plus possible et c’est, ainsi, qu’il en vint à proposer un travail en petit groupes.
Cette expérience l’amena à quelques constatations puis, à des hypothèses sur le fonctionnement des groupes qu’il élargira plus tard à la société tout entière :
- Les situations créées dans les groupes sont chargées d’émotions intenses
- Celles-ci exercent une influence puissante sur les membres et semblent infléchir l’activité du groupe, sans que ses membres en aient conscience. Le leader se laisse prendre à ce climat émotionnel et souvent chaotique auquel les membres contribuent en partie ou en totalité.
- Dans beaucoup d’occasions, le groupe semble fonctionner comme une unité, comme un tout, développant une logique propre au-delà de celle des individus qui le composent.
Cela l’amena à faire trois hypothèses (qui sont plutôt d’ailleurs, des constats) :
Dans un groupe s’affrontent deux tendances antagonistes :
- Une tendance rationnelle dirigée vers la réalisation de la tâche en question,
- Une tendance destructrice qui semble s’y opposer à travers l’activation de processus régressifs, chaotiques.
Le groupe, dans son ensemble, est soumis à des états émotionnels globaux qui l’amène à osciller plus ou moins rapidement entre des formes de comportements repérables (les hypothèses ou tonalités émotionnelles de base) qui sont l’expression d’états particuliers, la mentalité groupale.
Fonctionnement d’un groupe
L’objectif d’un groupe est de maintenir à tout prix son unité. Au sein de ce groupe, chacun est convoqué à prendre sa place, en interaction permanente avec les autres, et à se situer entre une absorption complète et mortifère dans le groupe et la solitude d’un en dehors du groupe.
Pour éviter d’avoir à se situer, de prendre à bras le corps ce que peut apprendre de l’expérience du groupe, celui-ci va mobiliser des états émotionnels globaux inconscients : les tonalités de base qui vont être des réactions aux dangers fantasmatiques qui le menacent.
Tonalités émotionnelles de base (on dit aussi parfois hypothèse de base)
Ce dernier concept se réfère à l’existence, à un moment donné, d’une opinion commune, unanime et anonyme du groupe qui va se traduire par une valence émotionnelle et des comportements globaux associés.
Les tonalités de base se présentent sous la forme d’émotions intenses d’origine primitive qui, pour cela sont considérés comme fondamentales.
Les impulsions émotionnelles sous-jacentes dans le groupe, les tonalités ou hypothèses de base, expriment quelque chose comme des fantasmes de groupe du type tout-puissant et magique sur la façon d’arriver à ses fins et de satisfaire ses désirs. Les impulsions, qui se caractérisent par ce qu’elles contiennent d’irrationnel possèdent une force et une réalité qui se manifestent dans le comportement du groupe. II faut souligner que les hypothèses de base sont inconscientes et souvent opposées aux opinions conscientes et rationnelles des membres du groupe.
Bion identifie trois tonalités émotionnelles de bases dont une seule est active à un moment donné (les autres étant, à ce moment-là, latentes dans l’inconscient du groupe).
La tonalité de base de dépendance
Le groupe maintient la conviction qu’il se trouve réuni pour que quelqu’un dont il dépend d’une manière absolue, assure la satisfaction de tous ses besoin et désirs.
Le groupe s’organise autour de la recherche d’un leader qui exerce la fonction de satisfaire ses besoins. L’animateur est le candidat privilégié pour assumer cette place : le groupe se comporte envers lui comme s’il était convaincu que tout le travail lui incombe.
S’il refuse cette place, en interprétant par exemple le fantasme du groupe, celui-ci sentant son unité menacée, peut réagir de plusieurs façons.
Une réponse possible est que, tout en maintenant son hypothèse de base, le groupe élève une autre personne ou une autre idée au rang de leader divinisé. C’est parfois le membre le plus malade du groupe qui remplace comme leader la figure du leader institutionnel. Dans d’autres cas, il se replie, de manière obsessionnelle, sur les traditions et l’histoire du groupe.
Dans des cas extrêmes, il va chercher à l’extérieur un groupe avec lequel il va nouer des rapports d’influences.
Mais il peut aussi changer de tonalité de base.
La tonalité de base d’attaque-fuite
Consiste dans la conviction du groupe qu’il existe un ennemi qui le menace. Dans ces conditions, le groupe trouve sa cohésion dans l’attaque ou dans la fuite. Là encore, l’animateur, l’analyste, le leader constitue la cible privilégiée et ce, d’autant plus facilement, que, en en faisant une menace, un « mauvais objet », on disqualifie son statut d’analyste ce qui évite au groupe la responsabilité d’avoir à assumer la situation en adulte.
Tonalité de base de couplage (ou duelle)
Dans cette tonalité de base, le groupe se met en attente d’un couple (pas forcement homme/femme) de participants dont va sortir la solution à l’impasse dans laquelle il se trouve. L’enjeu de cette tonalité, outre qu’elle peut introduire une dimension sexuelle, est de maintenir l’ambiguïté comme facteur de cohésion du groupe : tout le groupe est en attente pour une résolution ultérieure, qui par définition fonctionne comme le messie qui ne vient jamais, de ses problèmes et se sent déchargé de toute responsabilité.
A contrario, la place prise par ce couple génère jalousie, envie qui peut aussi mettre le groupe en péril.
Ces tonalités émotionnelles de base peuvent commuter très rapidement ou au contraire s’installer dans le temps. Leur identification nécessite une capacité à entendre le groupe dans sa globalité et non dans la prise en compte de chacun des participants.
En résumé, on peut dire que les hypothèses de base sont, pour le groupe, l’équivalent de fantasmes tout-puissants sur la façon de résoudre ses difficultés. Les techniques employées sont magiques. Toutes les hypothèses de base proviennent d’états émotionnels qui tendent à éviter la frustration inhérente à l’apprentissage par l’expérience, lequel implique effort, douleur et contact avec la réalité.
Retour à la situation :
Cher lecteur je ne vais pas te macher le travail, Je t’invite à faire fonctionner la théorie pour éclairer la situation actuelle : on ne peut apprendre que par l’épreuve et ce travail est le seul antidote possible pour sortir de la simplification complotiste délirante et commencer à penser cette situation o combien dangereuse, à laquelle nous faisons face.
La fuite en avant irrationnelle est suicidaire…Il n’y a pas plus mouton que ceux qui dénoncent les moutons.
* W.Bion (source : Wikipedia)
Wilfred Bion naît dans une famille anglaise, aux lointaines origines huguenotes, à Mathura, ville d’Inde alors sous administration britannique, le 8 septembre 18971. Son père est ingénieur chargé de l’irrigation. Il a une sœur plus jeune, Edna. Son enfance se déroule en Inde, dont il garde la nostalgie1, puis, à partir de ses huit ans, dans un pensionnat en Angleterre. Il étudie au collège Bishop’s Storford2.
Il participe comme officier à la Première Guerre mondiale, s’engageant le 4 janvier 1916, à l’âge de 18 ans, au Royal Tank Regiment (1916-1918)3. Capitaine à 21 ans, il reçoit le DSO et la médaille de chevalier de la Légion d’honneur3. Grâce à son expérience de chef de char, il découvre sa capacité d’entrer en relation avec ses pairs et ses supérieurs et à devenir le leader d’un groupe1. On retrouve certains des objets personnels et des notes de cette période dans une vitrine consacrée à la Guerre de 1914-1918 du musée des blindés de Saumur.
Après la guerre, il étudie l’histoire deux années au Queen’s College d’Oxford (1919-1921), où il obtient un baccalauréat es art. Sa lecture des textes de Sigmund Freud et sa détermination à devenir psychanalyste trouvent leur origine durant cette période. Il passe l’année suivante à l’université de Poitiers, en cursus de langue et littérature françaises1, puis il commence ses études de médecine, à l’University College de Londres (1924-1930) et se qualifie en médecine et en chirurgie. Il s’installe ensuite comme médecin libéral à Londres. Il commence sa formation de psychanalyste à la Tavistock Clinic, où il a l’occasion d’analyser Samuel Beckett entre 1934 et 1936, analyse interrompue par le départ de Beckett pour Dublin.
En 1937-1939, Bion entreprend une analyse avec John Rickman, puis il travaille avec Rickman sur la notion de groupe et de leadership, se faisant pionnier de la dynamique de groupe.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, les psychiatres de la Tavistock Clinic, parmi lesquels John Bowlby, John Rickman, S.H. Foulkes, et Bion, sont sollicités par les services psychiatriques de l’armée1. Ils sont chargés de la sélection des officiers, de leur formation. Bion occupe ces fonctions à York, comme psychiatre de secteur, responsable de la sélection des cadres de l’armée, puis à Northfield (Écosse), en 1942, où il soigne des soldats victimes de traumatismes liés à la guerre. C’est là qu’il commence ses recherches sur la psychologie des petits groupes, qu’il mettra en œuvre à la Tavistock Clinic après guerre.
Article détaillé : Tavistock Clinic.
En 1945, Bion reprend une analyse avec Melanie Klein, qui dure jusqu’en 1953 et il devient membre associé de la Société britannique de psychanalyse en 1950. En 1961, paraît son premier ouvrage, Recherches sur les petits groupes, qui connaît un grand succès.
Il occupe plusieurs postes institutionnels, directeur de la London Clinic of Psychoanalysis (1956-1962) et président de la Société britannique de psychanalyse (1962-1965). Il est président du Melanie Klein Trust et membre du bureau de la SBP jusqu’à son départ pour la Californie.
Alors qu’il a déjà 70 ans, Bion quitte l’Angleterre pour la Californie, où il exerce comme psychanalyste durant 10 ans (1968-1979). Cette période est surtout marquée par des invitations dans différents pays pour des séminaires, dont beaucoup sont publiés, notamment les séminaires à New York et São Paulo5, à Los Angeles6, à la Tavistock7, à Paris, en Italie8, ou encore en Argentine. Ces échanges avec d’autres psychanalystes lui permettent de poursuivre et d’approfondir sa réflexion sur la relation analytique1.
Il rentre en Angleterre en août 1979, où il meurt d’une leucémie, à Oxford, le 8 novembre 1979.
Il épouse en 1939 l’actrice Betty Jardine, qui meurt en 1945, en l’absence de Bion, en donnant naissance à leur fille, Parthenope, nom grec de la ville de Naples. Parthenope Bion Talamo est elle-même devenue une psychanalyste réputée en Italie9. Il se remarie ensuite avec Francesca Bion, qui travaille à la Tavistock, et ils ont deux enfants. Francesca Bion et Parthenope Bion-Talamo se sont beaucoup investies dans l’édition posthume d’écrits inédits de Bion.
Wilfred Bion écrit des textes à portée autobiographique, publiés en français dans deux recueils. Dans Mémoires de guerre Juin 1917 – Janvier 1919, il évoque son enfance en Inde, sa vie de pensionnaire et sa mobilisation comme soldat durant la Première Guerre mondiale. Me souvenant de tous mes péchés. Une autre partie d’une vie & L’autre côté du génie. Lettres à la famille est composé d’un certain nombre de souvenirs des années 1920-1950 et de lettres privées à sa famille