Le coaching, la conduite du changement sont devenus à la fois des dimensions incontournables de l’intervention en entreprise et en même temps des alibis qui font sourire les Directions au point où il devient possible de se demander si elle ne sont pas, elles-mêmes, les nouvelles formes de résistance au changement.
Seraient elles les nouvelles danseuses d’un management sans doute désemparé mais encore insuffisamment perturbé pour accepter de questionner, en profondeur, ses pratiques ?
Il faut bien reconnaître que l’irruption dans ce champ de nouveaux acteurs aux approches très hétérogènes et aux expériences très diverses ne contribue pas à la clarification et à la lisibilité de l’offre.
La télévision n’en finit pas de nous montrer ces faux prophètes mais vrais charlatans qui offrent au manager un paradis pour pas grand-chose (en effort d’approfondissement s’entend pas en Euro mais il est parfois si confortable de payer pour être sur que rien ne se passe !).
Alors, pour ceux qui ont envie de faire mentir la pétition des Inrockuptibles voici quelques années ou le brulot, « l’empire des coachs » poil à gratter désagréable mais peut être salutaire comme les révulsifs de grand’maman, il faut bien accepter de se demander s’il existe des pistes de travail « qui ne soient pas du semblant » ?
Longtemps directeur qualité dans une grande société d’ingénierie informatique, j’ai, également, assuré la supervision et la formation des Chefs de projet. Et voilà que survint le choc des 35 heures dans un métier où personne, voici encore quelques années, n’aurait même songé mesurer son temps. Sans doute les démarches de conduite du changement n’étaient-elles, justement, pas encore arrivées jusqu’aux oreilles sélectives de nos manager-ingénieurs. En tout cas, pour la première fois dans cette entreprise, il y eut une grève longue (3 semaines) avec une sortie de crise si douloureuse que je me suis interrogé sur les raisons d’un pareil pourrissement.
Curieusement, ce n’était pas uniquement le conflit autour des modalités d’application de la loi, ni les petites provocations involontaires (vous avez dit zéro mépris ?) d’un management un peu sourd … mais c’était, surtout, l’envie de faire durer le plaisir retrouvé de travailler ensemble, plaisir perdu par les exigences de contrôle d’une maîtrise trop formelle des processus et par l’irruption de la qualité normative (entre parenthèse, une sacrée pierre dans mon jardin de qualiticien).
Ainsi, dans le désir de travail, il y a aussi le désir d’être ensemble, de créer du lien, de co-construire, comme on dit aujourd’hui’hui, ses pratiques.
Voilà bien un niveau que l’on voit peu apparaître dans les stratégies d’intervention habituellement proposées pour rendre l’enthousiasme au travail qui se polarisent, d’un coté, sur les formations méthodologiques ou managériales et, de l’autre, sur un développement « personnel » censé rendre l’individu mature, capable d’écouter, de communiquer , d’utiliser positivement ses émotions.
Peux être nous autres, consultants, coachs, qui respirons les sphères pures des Directions Générales et des cadres supérieures, trouverions nous intérêt à regarder vers ces intervenants qui oeuvrent, souvent, au plus près du quotidien des travailleurs. C’est là qu’est née la psychopathologie du travail et la clinique de l’activité. Il ne fait pas de doute qu’il y ait de quoi fonder de nouvelles et passionnantes pratiques d’intervention.
Que nous disent ces cliniciens : que, très souvent, les pathologies au travail naissent de l’absence ou de la pauvreté d’un niveau intermédiaire de partage et d’élaboration des pratiques entre le « travail prescrit » (les processus formels) et l’appropriation strictement individuelle qui fait retomber sur le sujet la responsabilité d’avoir à adapter le formel au réel. Qui n’a jamais subi la double contrainte d’avoir à appliquer des règles, des stratégies, des méthodes, dont on sait bien qu’elles sont inadaptées voire dangereuses, en tout cas dans ce contexte là, tout en ayant une « ardente » obligation de résultat ? Au bout d’un moment cela rend fou…
Ainsi, entre le processus formel, la description réglementaire du travail et l’appropriation individuelle, le style, doit s’intercaler cette couche « amortisseur », ce « jeu », nécessaire au fonctionnement de toute mécanique, le « genre » (Yves Clot, 1999), qui a pour fonction d’élaborer en permanence l’interprétation collective des règles face à un environnement fluctuant.
L’hygiène du « désir de travail » (c’est-à-dire la préservation d’un possible plaisir au travail) consiste, alors, à s’assurer que ce niveau fonctionne correctement, qu’aucun incident ne vient perturber sa liberté et le figer dans des répétions à l’identique qui introduirait un nouveau niveau de rigidité dans une culture métier qui doit rester vivante.
On comprend pourquoi il suffit parfois de quelques séminaires, et peut importe l’objet, d’ailleurs, pour relancer, provisoirement, la machine. Ce n’est pas toujours pour les raisons invoquées par les consultants qui officient mais, au-delà d’un effet cathartique non négligeable, parce qu’on réintroduit fugitivement, sans le savoir, par effraction, un peu de vie au niveau du « genre », c’est-à-dire un espace d’échange inattendu qui suture un instant la grande déchirure du collectif.
Alors quels types d’intervention pour relancer un train qui patine ? On l’aura compris, la réponse ne peut être simpliste ou univoque.
Elle mobilise en effet plusieurs niveaux :
– le niveau institutionnel et culturel (vision, stratégies, culture, organisation)
– le niveau individuel, performance et compétence, savoir faire et savoir être (quel vilain mot pour parler du questionnement de la subjectivité car il n’y a pas de savoir sur l’être qui est par définition pure possibilité!!)
– et le niveau collectif en tant qu’entité de travail mais aussi comme espace d’appropriation et d’élaboration des pratiques.
Dans ces conditions intervenir sur le « malaise dans l’organisation » va nécessiter une véritable stratégie qui peut mobiliser, en fonction de l’ampleur de la crise et après un diagnostic complet, différents types de prestations :
– coaching des Dirigeants et de l’équipe de Direction (travail de cohésion autour de la vision, de l’identité, de la cohérence, des valeurs, les réelles pas seulement les affichées … et, de l’exemplarité) car il faut non seulement donner du sens mais être crédible et convaincant
– pilotage opérationnel du changement qui s’appuie sur la mise en place de dispositifs progressifs d’appropriation en travaillant sur des problèmes concrets (déjà une greffe de ce nouveau tissu : le « genre »)
– conseil en organisation et en dispositifs de pilotage pour mettre en place
une structure cohérente avec la vision et les pratiques managériales requises et qui doit ouvrir des espaces clairs et régulés d’élaboration collectives des pratiques (le niveau du genre devient et c’est nouveau un enjeu majeur) : l’ancrage dans l’organisation est un marqueur important du changement
– supervision (coaching) d’équipe pour aider les porteurs de projet à équilibrer la rigueur et la liberté (« entre le cristal et la fumée ») et négocier l’angoisse, initiale mais quel plaisir après, d’avoir à s’ouvrir à la relation
– ….
Tous ces types de prestations peuvent s’articuler dans le temps ou se dérouler dans une même unité de temps. Car il n’est pas si simple de réintroduire et de faire vivre un niveau collectif souvent hétérogène à une culture de la performance qui, quels que soient les discours, est, presque toujours, renvoyée, in fine, à sa dimension individuelle.
Parce que notre société réussit le tour de force de faire que nous sommes souvent seuls ensembles, piégés dans les rets de la passion mortifère qu’est la rivalité aveugle, le niveau du « genre » constitue le chaînon manquant, qui, en articulant le niveau subjectif et le niveau collectif, rend possible, à nouveau, le plaisir de travailler ensemble.
Références:
La fonction psychologique du travail, Clot Yves, Paris, PUF, 1999
Cliniques Méditerranéennes n°66, psychopathologie du travail