J’éprouve le besoin en cette rentrée de repréciser mon programme de travail. Ce programme j’ai fait l’effort de l’exposer dans un livre. Aussi, c’est naturellement que j’en reprends ci-dessous la dimension programmatique général.
Je renvoie, donc, à mon ouvrage « Hippocoaching: le cheval coach, quand le corps parle » pour un développement précis, conséquent, argumenté et pratique de l’introduction que je reprends ci-dessous.
Mais quelques mots sur le titre qui s’avère, in fine, en contradiction avec ce que je veux dire. En effet, le cheval n’est pas coach, ne peut pas ontologiquement être coach. C’est d’ailleurs ce que je tente en permanence de dénoncer.
Pour qu’il y ait coaching il faut un être parlant pour donner du sens dans une relation tierce. Alors, pan sur le bec du canard, j’ai voulu faire « marketing » et je me suis pris les pieds dans le tapis.
Voilà, j’ai fait ma contrition….
Préface:
L’idée de m’expliquer sur ma pratique dans un livre est née, voici quelques années, à la suite d’une conversation avec un écuyer de talent sur la disparition de la « belle » équitation au profit des formes vides et standardisées issues des pédagogies et des techniques fédérales.
« Ils veulent tous savoir sans apprendre » me dit-il alors et la pertinence de cette phrase m’interpelle encore. Au fond cela rejoint mon expérience de professeur d’Aïkido et de ces élèves qui viennent me demander en combien temps ils pourront être ceinture noire : 3 ans répond la fédération sans vergogne et la durée de l’examen sera de 12 min (sic) avec cette liste exhaustive de mouvements (resic) !
Il ne fait aucun doute qu’à la vue de ce qui se pratique aujourd’hui, je n’aurais jamais ressenti cet étonnement, ce choc à la vue d’une démonstration de Maître Noro à la salle Pleyel en 1967, et encore moins commencé l’Aïkido. À mes débuts, seul un engagement sincère comptait. Il n’était même pas question de se déclarer candidat à la ceinture noire. Le Maître, s’il vous en jugeait capable, à la fin d’une journée de stage, vous testait pendant une heure, jusqu’à épuisement !
Il en est de même pour le coaching et l’hippocoaching. Un « coach », je mets volontairement entre guillemets, est venu me voir, il y a quelque temps, pour me dire qu’il n’avait pas le temps de faire le cursus de formation et me demander si je pouvais le former en une journée !
L’imposture est là, partout, et, aveugle à elle-même tant elle épouse les lignes géodésiques et idéologiques de la société.
J’ai, donc, décidé de témoigner, de ma pratique, de ma réflexion, de mon histoire. Non par narcissisme, mais pour montrer que toute pratique sérieuse s’interroge, se fonde, se théorise, se remet en question.
L’hippocoaching est bien autre chose qu’une collection d’exercices, des concepts disent certains sans rire, sur lesquels des gens qui n’ont, la plupart du temps aucune expérience du management, viennent plaquer un pseudo discours managérial
L’hippocoaching est d’abord coaching, malheureusement, cela ne va pas sans dire, et qu’il n’a aucun sens sans formulation explicite d’une demande d’aide, ce qui n’est jamais une mince affaire !
Le seul outil incontournable de l’hippocoach est lui-même. Ce qui implique un certain nombre de contraintes , en particulier celle de se « former ».
Former n’est pas un mot anodin: la forma, en latin, était un moule à fromage; former c’est donc, prendre forme dans un moule. Tout le contraire de ce que l’on souhaite pour un coach dont l’enjeu est de travailler son ouverture à l’Autre.
Alors comment doit se former un coach: en questionnant en permanence « le moule » qui le contraint pour accéder à une liberté d’écoute.
Pas facile, me direz, vous! c’est pour cela qu’il doit accepter de remettre constamment son ouvrage sur le setier:
- Il doit se « transformer » pour être capable de se former et c’est l’exigence d’une expérience thérapeutique significative
- Il doit se former pour mieux se transformer en travaillant et mettant en question sa pratique sous le regard d’un formateur compétent
- Il doit se déformer (et même casser le moule!) en se faisant superviser avec un superviseur compètent pour se remettre en question dans ses fondements du triple point de vue de sa subjectivité, des théories qu’il soutient, des méthodes qu’il utilise.
Au fond le coach, l’apprenti coach, sont des Compagnons comme ceux du tour de France, qui mettent en question leur pratique, forgent leurs propres outils, outils à leur main, ajustés à la valeur qu’ils donnent à la matière qu’ils travaillent.
Finalement tout le livre n’est qu’un long développement de tout cela.
Introduction
Stress, souffrance au travail, absence de sens, on n’en finit pas d’égrener la litanie des maux grands et petits qui nous accablent.
Les causes en sont multiples : aliénation à des idéologies mortifères, affaiblissement des dispositifs traditionnels de solidarité, insécurité croissante dans l’entreprise…
Au secours ! Nos patients étouffent, nous étouffons, et ce n’est peut-être pas seulement métaphorique. Comment leur, nous, redonner cet espace suffisant pour reprendre souffle et ouvrir cette aire de jeu sans lequel aucune liberté n’est possible.
Ah ! Alors il faut jouer!… Et jouer avec quoi ?
Avec son corps, pardi ! Avec quoi donc d’autre prétend-on jouer ?
Le quoi ?
Le corps ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
Il y a le corps de l’autre, bien sûr, celui que je perçois, dès les premières secondes de la rencontre, celui que je ressens plus ou moins confusément générant des « images » dont j’aurai beaucoup de mal à me débarrasser, mais qui pourront m’être cliniquement utiles avec les précautions d’usage…. et, un travail sérieux sur moi !
Mais il y a aussi mon corps, justement, celui qui perçoit, ressens, celui que je ressens plus ou moins, celui que j’habite plus ou moins.
Enfin, il y a l’entre-deux, l’Aïda disent les Japonais, qui préexiste, cette tension qui se module et génère cette tonalité émotionnelle qui m’informe, oui, mais de quoi ? De moi, de l’autre, des deux ?
Enfin nous y voilà il est question, aussi, d’émotion, ce « phénomène » doublement charnière entre l’autre et moi, entre mon corps et mon psychisme (si tant est qu’il y ait une différence !).
Mon corps je peux l’engager seul, dans l’exercice, je peux l’engager dans la relation avec sa part d’altérité, je peux encore l’engager dans l’altérité radicale avec l’animal et c’est l’ouverture à l’ hippocoaching. Car l’animal constitue bien une altérité radicale avec son monde propre et, non une pale copie du monde humain. C’est sa dignité.
Quoi que l’on fasse, quoique l’on dise, toute relation se bâtit sur des sensations, des perceptions, des représentations, des affects qui sont toujours « médiatisés » (on peut remarquer, d’ailleurs, combien ce mot est inadéquat !) par le corps, le sien et celui de l’autre, dans leur inter action réciproque. Les corps nous parlent. Ils nous parlent de notre histoire, de nos résistances de notre manière d’entrer en relation. Être présent à soi, être présent à l’autre dans la multiplicité des indices qu’il nous donne, appréhender la richesse des interactions non verbales est bien plus qu’une hygiène utile : une base à partir de laquelle peut se construire une relation qui ne soit pas un leurre.
Les « méthodes » de coaching fleurissent. Elles proposent souvent des outils avant même que l’on comprenne clairement ce qu’il y a à faire. Les coachs, mais certaines sciences humaines ont largement déblayé le terrain, ont la fâcheuse habitude de découper les managers en tranches, généralement en sept, allez, donc, savoir pourquoi tantôt dans le sens de la longueur, tantôt dans le sens de la largeur. Il faut croire que la dissection fait « scientifique ». A moins, que l’on pense qu’il est beaucoup plus confortable de travailler sur des managers morts !
Remettre la personne, dans sa globalité, au centre de la relation d’aide, voilà qui parait être de bon sens. Encore faut-il savoir et énoncer clairement ce que l’on entend par « personne » (ou « sujet »). Autrement dit, annoncer clairement son anthropologie fondatrice : voilà une saine pratique.
À partir de la seulement, il devient possible de décliner des théories, des méthodes, et pourquoi pas des outils.
Dire que je prends la personne dans sa globalité, c’est dire que je la prends d’abord dans sa corporéité !
Le corps est à la mode !, lieu privilégié des investissements narcissiques exacerbés par les magazines, il est « vendu » comme l’enjeu du bien-être. Après le « tout est langage » des années lacaniènes, voici le « tout est corps » des années néo-libérales.
Là aussi on voit poindre sans vergogne les pratiques des plus sauvages au plus dérisoires.
Alors, comment peut-on essayer de fonder une pratique, efficace, outillée à la hauteur de la souffrance de nos clients ?
Comment mettre en œuvre une démarche de coaching, conséquente, cohérente, en mobilisant le corps à travers diverses disciplines : de la bio énergie aux arts gestuels japonais, des arts martiaux aux pratiques équestres ? Voilà l’enjeu de ce livre.
Sacré chantier !
Il me faut dire un mot sur l’hippocoaching qui ouvre à lui tout seul un champ de pratiques particulièrement riches : un rapport à l’animal problématique du fait de son altérité radicale, un rapport à l’animalité comme fantasmes, des disciplines équestres diverses ouvrant à des gammes d’intervention subtiles et variées, une multiplicité des intervenants permettant une richesse mélodique unique dans le dialogue de diverses disciplines…
L’hippocoaching ouvre encore d’autres dimensions : confrontation à des situations inattendues dans la mobilisation des affects, mais aussi dans les positions spatiales, l’exacerbation des tensions, les déficits de latéralisation, la mise en question de l’équilibre… et le souffle, ah ! le souffle !
« Le réel est toujours ce qu’on n’attendait pas et qui, sitôt paru, est depuis toujours déjà là », Henri Maldiney.
Alors comment ça fonctionne l’hippocoaching?
Un séminaire d’hippocoaching :
Au fond, en commençant ce livre je me rends compte que mes pratiques du coaching à médiation corporel et de l’hippocoaching sont fortement imbriquées. Comment pourrait-il en être autrement même si j’utilise le corps dans ma pratique du coaching individuel, il trouve toute sa richesse dans ce dispositif singulier et complexe de la médiation équine.
Je vais, donc, partir du dispositif le plus abouti, le plus riche, celui des séminaires de groupe d’hippocoaching pour en faire une analyse en composantes principales, comme disent les statisticiens, le corps, le groupe, la personne, le leadership, les dimensions managériales, le cheval.
Il me parait plus didactique, afin que le lecteur puisse faire l’effort de reconstruire l’ensemble, de commencer par le récit synthétique « d’un » séminaire particulier.
J’ai honte de parler d’« un » séminaire d’hippocoaching tant chaque séminaire est singulier et amène sa part de surprise, d’inattendu, de vie quoi… et celui-ci fut riche malgré des circonstances un peu particulières.
Il s’est, en effet, déroulé devant les caméras de télévision en vue d’une intégration dans un documentaire sur le coaching pour France 5. Impossible, donc, de ne pas tenir compte des effets d’inhibition ou au contraire d’exhibition provoqués par ce regard omniprésent. Une contrainte, donc, mais qui débusque, aussi, des niveaux de travail très archaïques qui n’auraient pu surgir sans cela : « là ou croit le péril, croit aussi ce qui sauve » (Hölderlin).
Pas simple de s’engager devant des caméras ! Et, pourtant, à peine le séminaire commencé, l’intensité s’est invitée. L’enjeu de la première heure est toujours fort : il s’agit, dans la dynamique du groupe, de dépasser la plainte pour pouvoir formuler un embryon de demande exploitable et clarifier une difficulté.
Car l’hippocoaching est d’abord et avant tout coaching : il ne s’agit, donc, pas de lancer à l’aveugle des exercices pour voir ce qui se passe, mais bien d’élaborer, pour chaque personne singulière, dans l’équilibre d’une problématique générale partagée par le groupe, son hypothèse de travail pour le séminaire.
Or la première seconde du séminaire s’est révélée déterminante : personne, y compris moi n’avait de montre et l’horloge de ma salle de travail était en panne. D’emblée, le problème du temps s’est imposé pour ce groupe-là dans une perspective d’une demande de travail sur la relation, la distance, la prise de place, l’intensité de la présence: temps pour dire les choses, temps de la demande, temps de l’entrée en relation, de l’entrée en présence, rythme, intensité, respiration pour laisser une place à l’autre….
Or le temps est l’une des dimensions fondamentales de l’équitation…et du management. C’est inconsciemment, sans faire encore le lien, que j’ai proposé de regarder une courte vidéo du grand Écuyer Nuno Oliveira. Il devient éclatant que la relation du cavalier avec le cheval s’inscrit dans une temporalité particulière avec un temps d’installation de la relation, tout travail du cheval est un travail consenti, et un temps rythmique d’intensité et de repos, diastole, systole, prendre, rendre, caractéristique de la cadence, de l’équilibre, de l’impulsion, temps où se noue la danse éphémère de l’art équestre, temps juste de l’attente et de la demande, de la demande et de la réponse, temps de l’étonnement qui se suspend dans l’élévation, la suspension : ce kairos grec, le temps qui touche au cœur, le contraire du temps vulgaire, celui de la mesure et de la gestion du temps. Car l’art équestre ce n’est que cela, mais tout cela : comme la calligraphie ou l’Aikido, la trace éphémère d’une respiration, d’un souffle, de l’intonation de deux énergies qui se donnent l’une à l’autre.
N’est ce pas une belle image pour le leadership que ce génie qui fait advenir les talents du cheval au niveau d’une œuvre d’art? Savoir créer les conditions pour l’expression la plus large, la plus intense des talents, de la créativité et de l’énergie de ses collaborateurs dans un plaisir partagé?
Autrement dit le temps vivant de l’intensité de la présence qui est une autre face du problème groupal apporté. Faut-il rappeler que Présence, « Prae sentia », c’est la tenue au-devant de soi, c’est-à-dire une autre manière de dire ex-sister (ex-sistere en latin) : « être prêt-à », mais aussi « être avec » : « être prés de ».
Tout cela va prendre sens dans les trois courtes vignettes cliniques ci-dessous :
François vit une fin de relation difficile. Nous lui proposons, donc, un exercice dont la première séquence est la prise de contact avec l’animal. Or, cette prise de contact avec le cheval qui lui est confié est tellement intrusive, sans ce tact équestre minimal nécessaire, que le cheval commence à faire connaitre son agacement. François n’a pas pris le temps de vérifier que le cheval était d’accord, il a multiplié les demandes de plus en plus pressantes… À cet instant l’autre n’existe plus pour lui… il est seul dans sa propre temporalité et il en récolte les conséquences….Il ne peut pas ne pas faire le lien avec ses propres difficultés…
Adèle*, elle, négocie avec le cheval : elle le câline dans l’espoir qu’il se montrera coopératif dans le travail. Elle n’est pas à la bonne distance et le cheval le lui fera savoir massivement en étant toujours sur elle à la bousculer « affectueusement »… plus de relation équilibrée possible, plus de place pour l’échange sauf celui imposé par le cheval, mais une fusion étouffante dont elle ne sait plus comment se dépêtrer…
Et puis il y a Marie*, qui prend conscience qu’elle a choisi de construire autour d’elle une bulle de confort comme elle dit, un cocon protecteur. Engagée dans le travail en liberté elle va prendre un risque, celui d’engager son corps, et toucher, avec l’aide du groupe, le plaisir de tout son corps dans l’action… elle se sent vivante et peut vérifier que le cheval suit en s’impliquant avec une nouvelle énergie dans l’exercice demandé. Quelle expérience ! non seulement on peut prendre un risque sans être détruit, mais en plus en éprouver un plaisir indicible, celui de se sentir centré, en lien avec l’animal qui maintenant se donne !
Je pourrai parler aussi de Catherine, qui installe une relation adéquate avec le cheval, mais qui va la détériorer en vérifiant constamment que ça marche, qu’elle fait bien, qu’elle fait ce qu’il faut, demandant encore et encore, générant ainsi de l’insécurité et de l’agacement…
Je pourrai prendre, un par un, chacun des huit stagiaires dans son problème propre : et, dans un temps où s’invite la finitude, donc, l’urgence, le rapport à l’enfant qu’ils ont ou qu’ils veulent avoir. Est-il encore temps ? Combien de temps me reste-t-il ? Quel temps suis je disposé à lui accorder ? Ne va-t-il pas m’échapper dans son temps propre ?…
Le travail avec le cheval a mis en acte les difficultés de chacun sans qu’il soit toujours possible d’en avoir une pleine conscience. En effet, l’expérience pure est insuffisante : elle doit être élaborée, verbalisée pour être intégrée dans un nouveau réseau de sens. Et il faudra bien une heure et demie de dynamique de groupe pour permettre à chacun de mettre des mots, de faire des liens à partir des expériences équestres.
Même si ce ne peut être que le début d’un long chemin, ce stage a permis pour certain une mise en mouvement, pour d’autres une impulsion nouvelle toujours bienvenue, il faut se souvenir, tous les navigateurs et les cavaliers le savent, qu’il est impossible de manœuvrer un bateau, un cheval qui n’avance pas, pour retrouver de l’air, il faut de l’ère ! C’est, donc, seulement à partir de l’instant de la mise en chemin qu’un travail peut commencer !
Ce qui est fascinant, ici, c’est de voir comment la problématique du temps qui s’invite à la première seconde du séminaire va organiser les problématiques de chacun sous un angle de vue neuf, inattendu, qui n’a rien à voir avec la plainte amenée. Ce qui s’invite ici, c’est le prix à payer pour être vivant, car pour que l’homme puisse vivre en propre il doit s’accepter comme pure possibilité, pure liberté. Là est le risque du choix : si je veux vivre, je dois mourir à chaque instant. Ce travail est rendu possible, ici, car le cheval représente particulièrement bien la vie dans sa plénitude, dans son énergie et dans son fondement animal ! Un exemple de fonction métaphorique du cheval qui stimule le fantasme !
Cela fait bientôt un siècle qu’Heidegger a pensé le lien puissant entre l’être (l’avoir à être) et le temps authentique, celui de l’intensité de l’instant ! Être en propre, laisser surgir la vérité de l’Être dans cette ouverture qui est ma responsabilité, mais qui me met face au vertige du sans fond, ou plutôt d’un fond toujours à questionner, à déconstruire !
Lucien Lemaire