Les modes d’organisation en projet sont à la mode. On en attend, en général, une meilleure efficacité et une meilleure maîtrise des objectifs. Cependant, elles sont frappées d’un vice fondamental : par définition, elles sont orientées vers la satisfaction d’un besoin spécifique et ont, donc, du mal à intégrer les modifications pseudo-aléatoires de l’environnement qui modifient le besoin ou à développer des systèmes génériques (c’est-à-dire généralisables).
On ne s’attardera pas ici, sur une définition du projet, qui n’est pas si triviale qu’elle n’en à l’air, pour n’en retenir que quelques caractéristiques fortes :
• Une activité dédiée à une réalisation unique avec une forte contrainte de temps
• Des ressources dédiées (quelque soit le type d’organisation choisi in fine : matriciel, task force…)
• Une activité mobilisant des « parties prenantes » souvent hétérogènes (client, utilisateurs, MOA, MOE, co-contractants, sous traitants, fournisseurs…)
Du projet paranoïaque :
Si l’on examine une organisation de projet traditionnelle, on constate une succession
Hiérarchisée en niveaux successifs et imbriqués en termes de circulation de l’information.
On distingue de l’extérieur vers l’intérieur :
L’entreprise qui développe une stratégie par rapport à son environnement et décide, donc, de s’équiper pour répondre au mieux aux nouvelles exigences de ses clients. Si nous choisissons un projet technologique, c’est pour la clarté de la démonstration mais la logique est la même pour tout type de projet.
Les utilisateurs, cet équipement va être servi par des utilisateurs, qui constituent un deuxième niveau de clients qui peut être, d’ailleurs, en violente contradiction avec la Direction Générale.
La maîtrise d’ouvrage a pour rôle de représenter les utilisateurs, d’arbitrer entre les besoins contradictoires, de vérifier et d’allouer les budgets, de piloter l’ensemble du projet, de rédiger les spécifications à partir des besoins recueillis, d’assurer la validation et la réception de l’équipement.
La maîtrise d’œuvre, dans le cas où le projet serait complexe, a pour vocation de piloter la conception et la réalisation du projet. Elle s’interface avec la maîtrise d’ouvrage qui lui transmet les spécifications. Elle va organiser le projet en différentes équipes, rédiger les spécifications pour chacune des équipes, spécifier et tenir à jour les interfaces, planifier et piloter la réalisation du projet, réaliser les vérifications et les validations internes.
Les Chefs de projet (des sous projets) qui reçoivent des objectifs (coût, délai, qualité) et doivent s’organiser pour les atteindre quoiqu’il arrive.
On peut caractériser ce type d’organisation :
– c’est une organisation fermée, en ce sens que le projet n’a la perception de l’environnement stratégique du projet qu’à travers la propagation (au sens quasi acoustique) d’une déformation qui lui parvient des couches supérieures. Il est, donc, coupé de la réalité vive de l’entreprise et ne peut obéir qu’à sa propre logique interne : c’est pourquoi, c’est une organisation paranoïaque !
– c’est une organisation hiérarchisée et spécialisée taillée pour répondre à un besoin spécifique et donc incapable de réévaluer le cadre de sa prestation. Elle est, donc, fragile (compétences pointues et peu remplaçables), sensible aux aléas (difficultés d’adaptation), génératrice de tension par perte du sens.
– C’est une organisation basée sur une logique prescriptive : chaque niveau formalise ce qu’il a compris du besoin pour le niveau suivant. L’objectif est, ici, d’obtenir une mythique formalisation exhaustive, ce qui induit un effort permanent de clarification/modifications à jamais insuffisants
– C’est une organisation procédurale car elle est rivée sur ses objectifs et doit multiplier les contrôles et les règles pour assurer un semblant de sécurité.
Il est évident que si le projet est suffisamment conséquent, les objectifs du Chef de Projet ne peuvent jamais être atteints. En effet, l’environnement bouge, les stratégies doivent s’adapter et l’entreprise cliente modifie ses objectifs. Ces contraintes vont diffuser à travers l’organisation sous forme de « déformations » qui seront analysées par le projet, incapable de leur donner un sens, comme des manquements du client (insuffisance de spécifications, modification du besoin…).
Le Chef de Projet continue à poursuivre des objectifs qui n’ont plus de sens par rapport à la problématique réelle.
Lui et sa hiérarchie répondent, en général, par deux logiques contradictoires (la régle et l’échappement à la règle) :
1- un renforcement du contrôle des processus de pilotage et de soutien,
2- un court circuit des processus techniques.
La pression et les doubles contraintes rendent la situation invivable pour le chef de Projet.
Les conséquences sont de plusieurs ordres :
- renforcement des contrôles et des procédures formelles dont chacun sait qu’elles ne seront jamais appliquées,
- tension avec le client qui obtient un équipement inadapté (au mieux adapté pour un besoin obsolète !), peu robuste,
- dérapage important et quasi systématique, des coûts et des délais.
Il faut bien comprendre que, si ce type d’organisation apparaît aujourd’hui rétrograde, il a pu être adapté dans l’histoire. En effet, la rusticité des technologies de l’information a conduit voici une vingtaine d’années à privilégier la rigueur formelle des processus à la convergence de processus itératifs d’adaptation mobilisant tous les types d’acteur.
….au projet ouvert
Réussir un projet c’est d’abord faire adhérer tous les acteurs à un sens partagé et déterminer précisément comment chacun concourt à la finalité commune.
La théorie des cohérences (R.Nifle) offre un paradigme adéquat en définissant le concept de Concourance.
Toute communauté humaine est communauté de sens. Et le sens se déploie selon trois dimensions :
- Une intention commune
- Une attention commune
- Une extension commune
Ainsi, pour être efficace, un projet doit se mobiliser autour d’une unité de sens
Cette unité de sens se déploie en six dimensions :
- La finalité, le sens : faire partager à tous les acteurs une vision commune.
- La stratégie, le projet : faire adhérer toutes les parties Prenantes à un projet commun.
- Le contexte: faire partager à tous un même monde ‘acteurs, organisation, ….)
- Les représentations : identifier et clarifier les jeux d’acteurs et construire des représentations communes
- Les relations et les émotions: construire et entretenir la cohésion du groupe ainsi qu’un haut niveau d’engagement des acteurs afin de développer l’intelligence relationnelle.
- Les démarches et méthodes : faire partager les méthodes et outils nécessaires en particulier pour le pilotage et l’évaluation.
Dire unité de sens, ne veut pas dire qu’il s’exprime de la même manière pour tous, et c’est là le deuxième coup de géni de cette théorie, il doit pour être approprié, être décliné par toute les catégories d’acteurs dans leur langage propre, pour leur pratique propre. Cette opération s’appelle homologie car elle conserve le sens sinon la lettre !
Revisiter l’accompagnement des projets
On l’aura compris accompagner un projet va consister à élucider, décliner et construire les conditions de la cohérence des six niveaux du sens.
Les interventions seront forcément complexes et correctement articulées dans le temps:
- Séminaires de cohésion et de lancement du projet
- Accompagnement du Chef De projet, en particulier pendant la période de lancement.
- Observation en situation : il s’agit de repérer les fléchissements des différents niveaux
- Développement d’ateliers thématiques en fonction des résultats du point précédent
- La régulation des équipes (et ce n’est pas la moindre des dimensions, les coachs étant peu ou mal formés à la compréhension des groupes
- Coaching, éventuellement de certains membres…
- Et bien d’autres dispositifs encore en fonction de la créativité du (des) coachs et de leur compréhension de la situation
Il est parfois nécessaire de mobiliser plusieurs coachs expérimentés et rompus aux techniques de groupe.
L’objectif final est de développer le principe de Concourance (R.Nifle) : comment chacun concoure au sens commun et comment l’équipe participe à la finalité de l’organisation qui l’accueille.
Cela nécessite une démarche d’intervention en plusieurs étapes et mobilisant des compétences multidisciplinaires.