« Calme, en avant, droit »: de la métaphore dans le coaching et l’hippocoaching

Du rôle de la métaphore dans le coaching et l’hippocoaching :

L’une des manières puissantes de faire accéder quelqu’un à une autre vision d’une situation connue est de le mettre dans un contexte favorisant la métaphore. Ceci n’est pas sans danger, d’ailleurs, car les métaphores peuvent prendre des valences différentes, voire contradictoires, en fonction de l’histoire, de la culture de la personne qui l’interprète, mais aussi du contexte.

L’équitation d’une manière générale est une source sans fond de situations  productrices de sens analogique. L’éducation des princes a toujours inclue les disciplines équestres. La relation avec l’exercice du pouvoir est assumée depuis fort longtemps comme en témoigne la lettre de Ferdinand d’Aragon que je cite dans mon ouvrage.

Cependant, ne nous méprenons pas, encore plus fondamentalement que  l’objectif même de l’activité,  il y a une différence fondamentale entre une séance d’hippocoaching et l’apprentissage de l’équitation : l’hippocoaching propose une expérience la plupart du temps ponctuelle (en ce qui me concerne, il m’arrive de suivre des groupes sur un an) alors que l’apprentissage de l’équitation, comme de toute activité qui engage l’Être, est sans fin.

Cette différence-là est en elle-même métaphorique et peut faire l’objet d’une réflexion avec des managers : celle du temps court caractéristique d’un monde qui valorise le profit immédiat et celle du temps long de la vision et des principes stratégiques (savoir tenir sa stratégie !) , d’un monde qui préfère le truc et l’outil à la construction et à l’intégration patiente d’un savoir-faire, en lui-même source d’épanouissement personnel : les compagnons du devoir vivent la différence !

Je me souvins de ce maître praticien PNListe qui, lors d’une formation à la PNL que j’avais choisi de suivre,  en réponse à un problème amené par un collègue, lui fit  « un ancrage »,  et j’entendis lui dire, sans rire : je viens de t’éviter 10 ans de thérapie ! Celui-ci dix ans après, pour le coup,  en rigole encore …moi aussi!

L’enjeu, et c’est fondamental pour un leader,  est la capacité instinctive (mais un instinct diablement travaillé) à appréhender les situations et à  y faire face instantanément..

On comprendra, sans que j’ai besoin d’y insister plus que ça, que  la construction d’un centre de gravité est un préliminaire à toute équitation savante : autrement dit on ne fonde rien sur des bases mal établies. J’ai largement parlé, dans mon dernier article, de la nécessité de commencer par des fondations solides.

À l’Ecole Espagnole de Vienne, les futurs écuyers restent apprentis pendant six ans avant d’être autorisés à travailler un cheval qui leur est attribué en propre, puis, ils ont encore six ans d’apprentissage pour arriver au niveau « écuyer ».

Le coach doit composer en permanence avec ces paradoxes de la temporalité entre des entreprises qui veulent définir un nombre de séances à l’avance, en général entre six et douze, et celle propre du coaching qui, par nature, doit laisser se déployer la dynamique de son client dans sa propre temporalité.

Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un donneur d’ordre vous explique que si au bout de six séances la difficulté n’est pas réglée, alors ça ne sert à rien de continuer !

Donc, le cavalier installe son apprentissage dans la durée… et dans l’humilité. Un sacré message…

De l’utilisation des proverbes équestres…

Lorsqu’on se penche sur l’histoire de l’équitation, on constate que les Maitres de l’œuvre équestre ne sont pas avares de proverbes qui résonnent, ou devraient résonner, dans le monde du management. J’en propose ci-dessous quelques-uns.

image_startL’avantage de l’hippocoaching est que l’on ne parle pas de ces proverbes : on les vit concrètement, on les incarne ici et maintenant dans la carrière ou le rond de longe. Il devient plus facile avec l’aide des observateurs et du coach  de repérer ses travers et de les accepter.

À tout seigneur, tout honneur :

·         « Mains sans jambes, jambes sans mains » (F.Baucher)

Cette sentence est suffisamment claire : on n’appuie pas en même temps sur le frein et  l’accélérateur, sauf cas très particuliers, et j’y reviendrais. Pas de demandes contradictoires, on sait, depuis Bateson, que les doubles contraintes rendent fou le cheval, le cavalier, le manager, le collaborateur, l’équipe. Être clair dans ses exigences, ne pas sur demander, ne pas gesticuler, voilà les pistes de travail qu’ouvrent cette maxime. Il n’est pas très difficile de construire en hippocoaching des expériences pour la mettre à l’épreuve,… le degré de maturité de son client.

le grand ecuyer Nuno Oliveira
le grand ecuyer Nuno Oliveira

C’est d’ailleurs souvent la peur qui conduit à ces demandes contradictoires. J’étais récemment à une fête équestre dans un village voisin.  Une jeune monitrice présentait un cheval en dressage manifestement insuffisamment préparé. Le cheval était nerveux, inquiet des spectateurs et la jeune femme n’arrêtait pas de le solliciter à coup d’éperons tout en bloquant par des mains tétanisées tout mouvement en avant. Il ne fait aucun doute que c’était la peur qui la conduisait à retenir son cheval au moment même où elle lui demandait une mise en avant franche et énergique. Elle construisait, alors, elle même, son malheur!

 Toute ressemblance avec des situations d’entreprise serait purement anecdotique !

·         « Calme, en avant, droit »  (Général A. Lhotte)

Voilà encore un proverbe équestre riche de tous les errements de certains managers. Avant de faire faire à son équipe, euh, pardon, à son cheval, des choses compliquées, il est important de l’éduquer pour lui donner les bases élémentaires du travail , pour lui fournir le mental et le physique nécessaires  aux apprentissages ultérieurs.

Commencer à tordre son équipe (euh ! son cheval) dans tous les sens pour faire semblant de faire des choses savantes, fait partie de ces bluffs mortifères qui disqualifient le manager (euh, le cavalier).

Ici les exercices à proposer en hippocoaching sont plus délicats. Il faut des consignes ouvertes, mais cela ne pose pas de problèmes particuliers.

Personnellement, nous faisons monter nos stagiaires en licol ce qui nous ouvre  une variété d’exercices adaptés et intéressants.

·         « Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup » (Général Faverot de Kerbrech)

Voilà un proverbe précieux pour travailler l’empowerment de ses collaborateurs ou de son équipe. La délégation en vrac, de n’importe quoi, sans s’assurer que le collaborateur est capable de le faire, sans contrôle régulier de la tâche, est une source d’échec récurrente pour les managers qui restent trop souvent aveugles (c’est pas moi, c’est lui!).

Ne trouvez-vous pas que ce proverbe contient entre autres, tous les points importants d’un bon  contrat de délégation !

Là aussi la plupart des exercices que je demande en hippocoaching permettent cette  lecture-là.

·          « Il est rare que les défenses aient d’autres causes que la faiblesse du cheval ou l’ignorance du cavalier. » Nuno Oliveira

voilà une phrase que chaque manager, chaque leader devrait méditer chaque soir. Car dans les deux cas ,c’est au manager (euh, au cavalier) d’évaluer la situation et d’adapter ses exigences.

Il n’est pas rare lorsque l’on demande un exercice à un stagiaire, surtout s’il a déjà des prétentions équestres,  et que celui-ci n’y arrive pas, on s’entende dire : oui, mais ce cheval n’est pas adapté, il ne sait pas faire, tu m’as donné un mauvais cheval… Il suffit alors que la personne qui encadre fasse l’exercice elle-même dans la facilité pour mettre en évidence le peu de lucidité de la personne sur ses compétences réelles et l’amener à méditer cette phrase frappée du bon sens.

Je ne vais pas dérouler trop de proverbes, cela devient fastidieux et pour vous et pour moi,  mais j’invite  les apprentis hippocoach,  à  s’essayer à cet exercice de compréhension.

Pour finir, j’en retiendrais deux  rapidement.

Maestoso_Basowizza_&_Oberbereiter_Hausberger

·          « L’éperon est un rasoir dans les mains d’un singe. » (F.Baucher)

Vous avez des managers (euh, des cavaliers) qui ont la sanction dure et facile.

Alors dans les deux cas, maladresse par insuffisance de l’indépendance des aides ou brutalité non travaillée, Ils font de l’éperon,  cette aide précieuse, précise  et subtile, l’instrument de leur échec par une escalade dans la sanction.

Au fond, je crois que le pouvoir est un rasoir dans les mains d’un singe !. Il est important pour un manager d’être au clair avec les raisons de ses  ambitions!!!

 Nous avons tous connu ces managers qui gesticulent et sanctionnent sans discernement jusqu’à se disqualifier eux même.

Il n’est pas rare, dans le travail d’hippocoaching, en liberté par exemple, de voir des stagiaires monter dans le degré de sanction pour se faire obéir d’un animal qui ne comprend pas ce qu’on lui veut, sans voir qu’ils perdent toute légitimité, et définitivement toute autorité.

·          « Moins on en fait, mieux on fait » (Nuno Oliveira)

J’adore ce proverbe qui fonde, quelque part le leadership.

Pour sortir un peu de l’équitation, lorsque j’étais en instruction pour devenir pilote de planeur, mon instructeur m’avait traité de branleur de manche parce que je corrigeais  sans arrêt aux commandes  les petites perturbation. Il m’avait, alors, conseillé : « règle correctement ta machine et puis laisse la faire, elle sait voler mieux que toi; détends toi, prends du plaisir à la regarder et à la sentir voler ! Mais c’est toi qui reste  maitre de la direction, de la stratégie de cheminement ».

La discrétion des aides est à la fois un aboutissement de l’équitation de la légèreté, mais aussi un moyen d’apprentissage pour le cheval. La demande doit être claire et se faire minimale. Toute sur-demande devient parasite. Ainsi, la rigueur et le plaisir se conjuguent !

Bon, j’ai fait un tour rapide de quelques proverbes équestres et je suis loin d’avoir épuisé le sujet (pour les proverbes et leur caractère évocateur !)

Du bon usage de la double contrainte

Pour terminer, je voudrais revenir sur l’utilisation de la double contrainte en équitation.

Il arrive qu’un cavalier très expérimenté freine et accélère en même temps : on appelle cela « l’effet d’ensemble ».

Cet effet d’ensemble est destiné à ramasser, dans l’instant,  les forces du cheval pour lui donner une impulsion maximale. Cela se fait, rarement et à bon escient, très rapidement, dans l’instant même. Fermer, ouvrir!

L’effet d’éveil est alors très puissant.

Cela participe du même effet le le Koan Zen : pour sortir du paradoxe le cheval doit trouver une solution d’un niveau supérieur, ici se rassembler, ce qui lui donne une énorme énergie.

Différence entre team building et coaching d’équipe :

Je vais terminer ce texte, juste pour le  »fun », par ce paragraphe, un peu incongru ici, bien que ça soit une question à laquelle nos clients, voir même certains coachs ne semble pas complètement au clair !

Simplement pour voir comment la métaphore équestre éclaire le sujet.

·         Dans le teambuildig, l’objectif est de mobiliser l’équipe en la rassemblant, autour de valeurs appropriées et d’objectifs partagés, dans une juste tension.    La métaphore équestre la plus appropriée est « l’effet d’ensemble ».

Dans le coaching d’équipe, accompagnement de l’équipe dans sa vie opérationnelle, l’objectif est d’entretenir la dynamique de l’équipe malgré (ou grâce à?) les aléas du parcours. Les exercices proposés  mobilisent toujours, in vivo et pas abstraitement,  les difficultés de l’équipe.  La métaphore équestre  est celle du « rassemblé » et de « l’impulsion.

Alors, cher lecteur, j’espère t’avoir fait recouvrir ou redécouvrir que l’équitation, qui est l’exercice d’une juste autorité, de l’autorité dans la responsabilité, a profondément à voir avec le leadership. C’est pourquoi je déplore cette indifférence des hippocoachs à l’histoire de la belle équitation.

Pour terminer, je voudrais rappeler, à ce sujet, cette anecdote  tirée de mon expérience personnelle et rapportée dans mon livre:

Voici quelques années déjà, j’ai eu la chance de pouvoir assister à un stage dirigé par l’écuyer portugais, alors très jeune encore, Carlos Pinto. L’écuyer regardait travailler un cavalier, belge mais cela reste anecdotique, qui avait du mal, manifestement, à régulariser le trot de son cheval. Carlos lui demanda de descendre, se mit en selle, pris délicatement les rênes et resta quelques secondes immobile. Je vis alors le cheval devenir attentif, tourner ses oreilles vers l’arrière, puis, sans que le cavalier ait encore entrepris la moindre action, hésiter, rentrer les postérieurs et tout, doucement commencer, à se rassembler*. Sur une action de l’écuyer, le cheval se porta en avant, chercha son équilibre*, fit quelques foulées encore désunies, trouva son impulsion*, puis rentra dans un joli trop d’école à la cadence* énergique et élégante.

N’est ce pas la marque d’un grand leader?

Lucien Lemaire

En collaboration avec le cabinet Co-Présence

Pour aller plus loin

Decarpentry. (2004 ). Les conseils du Général Decarpentry à un jeune cavalier : Notes sur l’instruction équestre et Théorie du dressage. Favre

Une mine d’or et des réflexions précieuses sur la « belle » équitation par le dernier grand écuyer Français. Blessé au bras lors de la première guerre mondiale, alors qu’on allait lui immobiliser définitivement la main  et que le chirurgien lui demandait dans quelle position il fallait  la fixer, il répondit « Dans la position de la main de bride ». Son ouvrage sur Baucher est passionnant.

Oliveira, N. (2006). Œuvres complètes. Paris: Belin.

Oliveira N : L’écuyer du XXe siècle / 20 ans après (2014). [Film].

Quelques traces cinématographiques  du plus grand écuyer du XXème siècle : oui, la légèreté, l’équilibre existe en équitation !

Olstef, S. (1978). De l’équitation. La méthode et ses pratiques. Paris: Crépin-Leblond.

Un régal d’humour. Voilà un homme, ancien écuyer du cadre noir, qui remet les pendules à l’heure, dégonfle l’ « ego » des « Dieux ». L’un des premiers, il a perçu les dérives de l’équitation moderne et a su voir en Nuno Oliveira l’écuyer prodigieux capable de régénérer un art équestre formolé.

Mais l’analyse précise des ressources du cheval est aussi un modéle pour l’apprentissage des managers.

Et puis j’ai trouvé ce site qui recense pas mal de citations

 

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